Arkaële s'effondra au bord de la rive du lac devant lequel elle venait d'arriver. Elle resta un instant les yeux fermés, sentant la douce herbe lui frôler la peau sous la brise fraîche. Elle soupira doucement. Cela faisait des jours qu'elle ne s'était arrêtée, même pas pourquoi manger. Elle avait inlassablement suivit cette rivière, sous une impulsion bizarre, sous un sentiment qui lui dictait d'aller jusqu'au bout de cette rivière. Et lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle comprit pourquoi. Elle avait devant elle un immense lac de la couleur de ses yeux, qui scintillait sous les rayons du soleil. Son visage se fendit d'un léger sourire. Tiens, ça faisait longtemps qu'elle s'était autorisée à exprimer sa joie... Même si là, c'était assez minime. Son sourire s'agrandit, et la frêle créature partit d'un rire cristallin. Toute cette fatigue accumulée s'échappait par ce rire.
Ses ailes légèrement douloureuses l'obligèrent à se lever pour marcher. Elle s'avança jusqu'au bord du lac et regarda son reflet. Elle avait l'air fatigué. Après une seconde d'hésitation, elle plongea toute entière dans l'eau bleutée. Ô, que cela était bon. Après quelque minute de plongeons, de nage, et s'étendit sur la rive et regarda le ciel. C'était beau par ici. Et puis, elle en avait marre de voyager. Ses rêves d'enfants s'étaient petit à petit transformés en cauchemar. Oui, c'était décidé. Si elle ne rencontrait pas trop de monde, si personne ne la jugeait, oui, elle resterait bien... Mais cette réflexion attendrait un peu. Là, elle n'avait pas envie de penser, elle voulait juste profiter de la brise, point.

Arkaële était tellement dans ses pensées qu'elle n'entendit pas le bruit des pas qui s'approchaient d'elle. Lorsque la personne parla, la fée ouvrit brusquement les yeux et se releva en vitesse, laissant échapper un petit cri. Elle avait été bien surprise là. Lévitant à quelque centimètre du sol, elle inspecta les environs, et ses yeux tombèrent sur un jeune homme à moitié habillé. Elle rougit, honteuse d'avoir été surprise de la sorte, elle espéra juste qu'il ne l'avait pas vue s'amuser. Elle se racla la gorge pour se donner contenance et se posa doucement par terre.

Arka fronça les sourcils à la première phrase du jeune homme. Il semblait assez hostile, pas chaleureux ou bienveillant pour un sou. Elle pensa alors qu'ils étaient tous pareils, ces gens. Pourquoi donc lui parlait-il encore alors? C'est comme s'il s'obligeait à parler. Ou peut-être passait-il juste le temps? Elle se risqua quand même à répondre. De toute façon... N'avait-elle plus rien à perdre?

"-Je vous retourne la question..."
Elle lorgna sur la tasse de café. Qu'est-ce que quelqu'un faisait avec une tasse de café dans un endroit pareil? En tout cas, voilà que la fée avait l'air bien téméraire, ce que ne lui ressemblait as du tout. En temps normal, elle serait partie, simplement. Peut-être que... Ca faisait trop longtemps qu'elle avait parlé à quelqu'un. Quelle idiote.

"-Sinon.. Je ... Voyage."

Arkaële croisa les bras. Un autre regard vers la tasse de café.

"-Je comprends... Maintenant..."

Cette phrase n'avait été qu'un murmure. Apparemment, elle avait fait une légère fixette sur la tasse de café. Il fallait toujours qu'elle fasse attention aux choses insignifiantes, et qu'elle laisse les plus importantes sur le côté. Bizarre qu'elle était.
Pour être franche, ce type lui fichait un peu la trouille. Mais, bizarrerie oblige, la créature n'aurait pas su partir comme ça. Et puis, de toute façon, ne fallait-il pas qu'elle se renseigne sur l'endroit? Tant pis pour le genre de personne à qui elle posait des questions. Au pire, elle s'enfuirait en hurlant... n'est-ce pas?

"Euuh... Est-ce que... Cet endroit est grand? Et... Est-ce que c'est très peuplé?"

Question cruciale. Si il y avait trop de monde, sa décision à rester serait ébranlée. Trop d'imbéciles aux yeux fermés sur le monde, pas pour elle.

Le regard d'Arkaële se durcit.

"-On va dire... Que j'aime pas... Le monde."

Elle eut une soudaine envie de parler, laissant un peu la réponse de l'homme en suspend.

"-Toutes ces créatures qui se croient mieux, plus dignes de vivre sur cette terre que n'importe qui..."

Elle ricana et serra les dents. Parfois, sa naïveté et sa timidité pouvaient... Être remplacée par une colère soudaine. Arkaële ne savait pas pourquoi, et ça la dérangeait au plus haut point. Mais maintenant qu'elle était sur sa lancée...

"-Ces gens qui prennent plaisir à démolir, qui ne supportent pas ceux qui ne sont dans la norme..."

Elle se stoppa net, une odeur nauséabonde la fit toussoter. Cigarette... Cette chose puait... C'était tellement de saletés dans une si petite chose... Ses sourcils se froncèrent un peu plus.

Oh, l'homme ne venait-il pas de montrer un tantinet de compassion? Bref. Arkaële était naïve, pas bête. Elle comprit l'allusion du... Meurtrier. Elle eu un instant une légère peur, mais, étant encore sous le coup de ses paroles, celle-ci se dissipa plutôt vite. Alors, elle avait en face d'elle quelqu'un qui... Tuait des gens...

"-Et... Vous prenez plaisir à démolir toutes ces créatures?"

Ca la rendait malade, qu'il dise ça avec autant de détachement. Plus l'odeur aussi. Ôôô, qu'elle n'aimait pas ça. Elle s'éleva légèrement et recula. Maintenant, elle avait la confirmation qu'elle ne l'aimait vraiment pas, et qu'elle ne pourrait pas le supporter, celui-là.

"-Fi..Fillette? Alors, en plus d'être cruel... Vous êtes aveugle?"

Ooh, mais pourquoi elle disait ça, là? Ca n'allait lui approter que des ennuis ça...

Arkaële eu un petit sourire en coin. Il était tout, sauf joyeux et heureux. Triste, en grande partie.

"-Non... C'est vrai que je ne pourrait jamais comprendre les gens comme vous..."

Comment pouvait-on en arriver là? Comment de tels gens pouvait-ils exister? Sa colère se dissipa, elle devint lasse. Lasse de ce monde, de ce qu'il pouvait contenir. Elle secoua doucement la tête, désolée. Encore déçue. Elle perçut cependant une réaction lorsqu'elle le qualifia de cruel. Pour elle, il l'était. Mais, il devait sûrement se dire que ce qu'il faisait était bien? Non, elle ne comprenait pas du tout.

"-Oui... Je crois que je préfèrerais vivre dans un endroit désert de toute goutte d'eau et de forme de vie, que de vivre ici, dans un presque paradis, mais entourée de gens infâmes..."

C'était une presque vérité, un presque mensonge, car elle savait très bien que, sans une goutte d'eau, elle mourrait.
Elle jeta un coup d'œil au ciel. Elle avait trop tardé. Les feuilles des arbres environnants commençaient déjà à se teinter d'un rouge presque sanguin, la surface du lac prenait une douce couleur orange. Arka ne pourrait pas voyager de nuit, ça demandait plus d'efforts que de jour, et elle était épuisée. Elle soupira.

La créature allait ne pas lui répondre, mais un déclic se fit aux mots de la personne. Qu'est ce qu'elle venait de faire? De dire... La même chose que... non. Elle leva les yeux, elle sentait d'étranges choses lui remonter des entrailles. Serrer les poings. Elle venait de s'en rendre compte, là, maintenant. Elle était aussi intolérante que les autres, finalement. Comme les autres l'avaient fait avec elle, elle avait jugé sans connaître. Elle avait senti l'amertume de l'homme, et ça lui avait fait mal. Ça lui avait ouvert les yeux aussi.

"-Pa... Pardon..."

*Je suis comme les autres, finalement*

A qui le disait-elle? Lui? Elle? Elle se laissa tomber sur les genoux et enfuit sa tête au creux de ses mains. Ca y est, c'était reparti pour un débat acharné à l'intérieur d'elle même. Elle sentit le goût salé des larmes sur ses lèvres, tandis qu'elle essayait de se reprendre. Encore une fois, elle aurait mieux fait de se taire, de partir. Décidément, la vie sociale n'était pas faite pour elle. Elle n'avait plus qu'à y aller, dans son désert.

Arkaële était secouée de légers spasmes, elle essayait de se contenir. Cette fois, elle l'entendit arriver. Qu'est ce qu'il faisait encore là? Elle leva ses yeux mouillés vers lui. Malgré le ton dur et sec qu'il avait employé... Il avait en quelque sorte fait preuve de gentillesse là, non? Qu'est-ce qu'elle était bête! Elle passa son poignet sur ses joues humide et toucha doucement le blouson.

"-Je... Je suis désolée, j'ai été comme tous ces gens que je critique tant..."

Elle serra la veste, son poing tremblant légèrement, et se releva, titubant légèrement.

"-Merci..."

La fée déposa doucement la veste sur ses épaules, en prenant soin de ne pas abimer ses ailes. L'air était presque devenu glacial, et tout ça en très peu de temps. Elle resta un instant coite... Il lui proposait d'aller chez lui? Elle hésita, mais pas très longtemps: il venait d'être gentil là, alors, pourquoi pas? La naïveté de la créature avait repris le dessus, comme d'habitude. Elle suivit l'homme, de plutôt loin tout de même, et s'arrêta sur le seuil de la cabane. Arka jeta un coup d'œil à l'intérieur. On aurait dit qu'il n'était là que de passage. Même... S'il ne l'avait pas conduit ici, elle aurait pu penser que le cabanon était abandonné. La brise froide de la nuit la fit frissonner, et lui fit piquer les yeux. Avec les larmes récentes, ça n'arrangeait pas le tableau. Elle hésita un instant avant d'entrer, se mordilla la lèvre inférieure. Puis, finalement, elle fit un pas dans la presque unique pièce.

"-Je... C'est... Merci."

Elle était un peu à court de paroles, là. N'étant au départ très sociable, ça faisait longtemps qu'elle avait "parlé" autant de temps avec quelqu'un.

Arkaële regardait toujours autour d'elle. C'était si vide... Il lui "proposa" de s'asseoir mais... Il n'y avait aucune chaise. Elle aurait à la limite pu se laisser tomber contre le mur mais, elle était un peu gênée à vrai dire. Elle l'observa préparer son repas, enfin, ce qu'elle supposait être son repas: elle n'avait jamais vu cette nourriture. Dormir sur un lit? Voilà longtemps qu'elle n'avait pas fait ça.

"-Oh, non, vous savez, ce n'est pas la peine..."

Elle baissa les yeux. Elle avait vraiment jugé trop vite.

"-Je... Je m'appelle Arkaële."

Elle hésita.

"-Et vous?"

Arkaële saisit la fourchette. Ah bah... Oui, ça se mangeait alors. Elle s'approcha lentement de la casserole posée sur la table. Hum, pas de chaise. La seule solution: s'asseoir sur la table. Non mais ça, c'était beaucoup trop osé pour la fée. Elle prit la casserole et alla s'asseoir contre un mur.

"-Euh... Vous en prenez pas?"

Elle sentit l'amère odeur du café. Elle esquissa un léger sourire, ça sentait comme son enfance. Elle resta un instant silencieuse après avoir entendu le prénom... Le surnom? Du jeune homme.

"-Amertume... C'est... Un peu triste, non?"

Elle l'observa trier son courrier, puis s'autorisa à goûter une de ces boulettes jaune aplatie. Il y avait une sorte de sauce tomate autour... Elle mordit dedans... Ô, c'était mou! Le goût à l'intérieure était plutôt incertain. Cela pouvait ressembler un peu à de la viande... Mais ça, elle n'en était pas sûre. Ce n'était pas mauvais. Juste... Etrange. Elle essaya d'en manger avec plus de sauce, moins... Elle pencha la tête. Vraiment étrange comme nourriture.

Arkaële commençait à sentir qu'elle l'agaçait un peu, alors, elle se mura dans sa forteresse de silence, mangeant sans bruit ses raviolis. Alors comme ça, c'était quelqu'un d'amer? La fée n'aurait pas aimé s'appeler Naïveté, ou Folle-à-lier. Quoiqu'on l'avait asséné, autrefois, de surnoms semblables. Elle s'imagina alors différents scénarios, sur le fait que je jeune homme soit surnommé ainsi. Un instant, elle oublia même d'en manger. Arka secoua la tête, c'étaient ce genre de rêveries qui avaient fait d'elle une voyageuse solitaire, sans plus aucune famille à qui se raccrocher. Elle finit la casserole, même si, pour les derniers morceaux, elle n'avait absolument plus faim. Mais bon, elle avait toujours fini tous ses plats, même lorsqu'elle n'aimait pas, pour n'offenser personne. Elle était comme ça. La fée posa casserole et fourchette sur la table -elle ne voyait pas trop où les poser d'autre- et s'approcha du lit. Même si ce n'était pas le luxe, c'était un peu plus confortable que par terre. Elle s'agenouilla sur le matelas et regarda par la fenêtre, les étoiles scintiller dans la nuit d'encre, laissant Amertume s'affairer tout seul, puisqu'il préférait ça.