Recommencer à zéro [PV : Ecko]

Dès qu'il eut retiré sa main de sa joue, Luva s'assit brusquement sur le sable en soupirant bruyamment. Elle n'avait pas gardé de distance précise comme lorsqu'elle le faisait auparavant. Elle s'était juste contentée de s'asseoir. Face à lui.

Le silence s'installa, comme une sorte de gêne, seulement entrecoupé du roulement des vagues, des rires de plus en plus rares des mouettes et de l'écume se fracassant sur le sable. Un silence presque religieux, que le garçon n'osa pas briser. Il avait peur d'avoir fait un geste qui ne correspondait pas à ce qu'attendait Luva...

Cette dernière brisa cet instant de calme au moment même où il s'asseyait à son tour :

-Comment tu as fait jusqu'à maintenant pour vivre sans reconnaître les filles et les hommes ?

Excellente question... Il ne répondit pas tout de suite, la tête encore embrumé par la sensation qui s'était ouverte à lui lors du contact entre leurs mains. Mais percevant son attente, il déclara :

"Cela ne m'a jamais réellement posé de problème. Pour moi, la vision des humains se limite au fait que chacun est une ombre unique. Mais j'entendais beaucoup ces termes : 'fille' et 'garçon' ou 'femme' et 'homme'... J'avais deviné qu'il y avait une différence entre ces appellations, et que ces différences s'appliquaient aux formes humaines que je rencontrais... Mais je n'ai jamais appris à faire cette différence... Jusqu'à maintenant."

Il lui sourit encore. Devant lui se dessinait désormais le visage qu'il avait touché. Sans 'couleur', mais bien présent, fin, doux. C'était étrange... Son cœur n'avait pas cessé de battre à une vitesse effrénée...

"Et puis, ajouta-t-il, je n'ai pas véritablement rencontré beaucoup de gens... je ne m'étais pas véritablement posé la question..."

C'était vrai. Outre Nomenad, Jack Enger, un vampire (Le Passeur) et Escapist, sa vie ne comprenait aucune connaissance encore en vie.

Nouveau silence. Ecko n'avait pas quitté son sourire. Il était bien, sur son visage. Un léger vent vint jouer avec ses cheveux. Le garçon frissonna. Mais ce n'était pas une réaction due à la fraîcheur du soir...

Le jeune homme répondit à Luva simplement. Et il lui expliqua qu'il n'avait pu faire la différence jusqu'à maintenant. Rien ne lui permettait de la faire. Il ne voyait que des ombres autour de lui. Il lui sourit avant d'ajouter :

- Et puis, je n'ai pas véritablement rencontré beaucoup de gens... je ne m'étais pas véritablement posé la question...

Son sourire ne s'effaçait plus de son visage. Depuis qu'il lui avait effleuré la joue, une nouvelle ambiance s'était installée entre les deux. Le jeune homme frissonna. En le voyant tressaillir Luva eut la chair de poule à son tour. Elle se demanda alors si c'était le froid de la nuit qui tombait qui mettait sa peau dans un tel état. Elle n'aimait pas quand la surface de sa peau prenait cet aspect là.

Le vent soufflait sur la plage et la longue tresse de Luva tanguait dans son dos. Le foulard dans lequel elle s'était enroulé virevoltait de temps en temps, elle le tenait fort contre elle, de peur qu'il ne s'envole pour de bon. Elle n'avait pas envie de partir à sa poursuite. Le ciel s'assombrissait. Le soleil brillait encore fort mais il tombait à l'horizon, il s'était vêtu de couleurs plus orangées, rougeoyantes.

Luva garda le silence. Sa langue remuait derrière ses lèvres closes, elle était à la recherche de quelques mots à placer. Mais rien ne venait. L'image d'Ecko si près d'elle, et la sensation de sa main sur sa joue revenait toujours à son esprit et empêchait sa curiosité de faire naître de nouvelles questions. Pourquoi l'avait-elle mis dans un tel état ? Peut-être parce qu'il avait été le premier homme à lui faire preuve d'un peu de douceur.

Tantôt elle le haïssait d'être un homme, tantôt elle l'appréciait tendrement d'avoir été gentil avec elle. Parfois elle le maudissait de la perturber, parfois elle l'aimait bien parce qu'il répondait à ses questions. Un coup elle le détestait pour ce qu'il était, un coup elle l'admirait pour être si différent. Un instant elle ne l'aimait pas parce qu'il voulait l'aider, l'instant d'après elle était subjuguée par lui qui ne pouvait la voir.

Ses sentiments changeant la rendait malade. Elle eut la nausée puis un coup de vent effaça toutes ces pensées. Elle grelotta. Elle regarda Ecko. Elle s'approcha de lui, ignorant que c'était un homme. Elle s'assit près de lui à sa droite. Et se colla à lui comme une enfant apeurée. Habituellement elle n'aimait pas le contact avec les hommes, mais lui, il avait été doux. Il lui avait caressé la joue alors qu'il aurait pu faire ce qu'il voulait de son corps, elle le lui avait permis, proposé même. S'installant contre l'homme, alors que la nuit tombait peu à peu, elle se demanda si c'était ça qu'on appelait un ami. Peut être avait-elle enfin eu la chance d'en rencontrer un ? Mais s'installant si près d'Ecko, tout à côté de lui, elle jugea bon de se justifier :

- J'ai froid...

Cette phrase toute simple avait été dite d'une voix d'enfant esseulé. Elle n'avait pu retenir un frisson sur ces mots. Et elle attendit une quelconque réaction de sa part, blottie sur sa droite.

Luva aussi grelotta. Un bref instant. Ecko le perçut. Il s'en amusa. Quelques secondes plus tôt, cette contraction de ses muscles s'était appliqué à son propre épiderme. Il la vit se déplacer. Lentement.

Elle ne faisait plus du tout attention à la distance entre eux, comme avant. Comme si une barrière était tombée, un lien tissé. C'était étrange... Peut-être était-ce ainsi la définition du mot 'amitié'... Ecko n'avait jamais su ce que voulait véritablement dire ce mot... Il en trouvait ici, en cet instant, une définition.

Luva s'assit à côté de lui. Très près. Trop près peut-être, lorsqu'elle se blottit carrément contre lui. L'aveugle tressaillit. Un frisson le parcourut, mais non du à la fraîcheur du soir. Cette fois-ci, il en était sûr : ce qui faisait battre son cœur plus vite qu'habituellement, c'était Luva.

- J'ai froid... avait-elle dit en se collant contre lui.

Lui aussi avait froid. Un peu. Mais une bouffée de chaleur l'envahit tout aussitôt, coordonnant admirablement avec le mouvement de la jeune fille. Il n'arrivait absolument pas à comprendre le pourquoi de cette réaction. Comment son corps pouvait-il chauffer ainsi alors qu'il n'était même pas en train de pratiquer un effort physique ??

Il resta ainsi, la tête droite, le cœur battant la chamade, ne sachant quoi dire ni faire pendant une bonne dizaine de minutes. A présent, il pouvait entendre et sentir le souffle régulier de Luva contre sa peau. C'était la première fois depuis bien longtemps qu'il se sentait aussi... bien. Oui, c'était le mot. Même si cette situation était nouvelle pour lui, il se sentait bien.

Inconsciemment, il laissa sa tête aller contre celle de l'Ookami. Comme elle sentait bon... Aussi bon que les fleurs de son jardin. Peut importait pourquoi, peut importait comment, elle sentait bon un point c'était tout, et l'aveugle avait toujours eu un faible pour les bonnes odeurs... Surtout celles de fleurs...

Silence. Encore le bruit des vagues, que rien ne vient altérer. Mais un bruit sourd résonnait aux oreilles d'Ecko. Un bruit qui hantait son esprit, à côté du visage de Luva, blottie contre lui.

"J'ai le cœur qui bat plus vite..."dit-il...

Il n'arrivait toujours pas à l'expliquer... Mais, après tout, c'était une sensation plutôt agréable...

Luva se colla ainsi contre le jeune homme. Être si près de lui la réchauffa un peu. Elle se sentait bien comme ça. Si bien que ses yeux clignèrent. Son corps se fit lourd et elle s'assoupit un moment contre le garçon. C'était doux. Luva n'avait pas l'habitude de s'endormir en présence d'inconnu mais elle s'était habituée au garçon et elle l'avait adopté. Il était gentil, différent. Elle pensait ne rien avoir à craindre de lui.

Luva resta un long moment endormie contre le corps tiède d'Ecko. Il était immobile. Elle sentait juste son corps bouger au rythme de sa respiration, et sous son oreille elle entendait son coeur, il battait fort. Au bout d'une dizaine de minutes le garçon laissa tomber sa tête sur celle de l'ookami. Celle ci ne réagit pas, endormie et déjà aux pays des rêves elle ne se rendit pas compte de cette modification.

Le bruit des vagues au loin et le vent qui soufflait berçait la jeune fille. Mais la voix d'Ecko retentit soudainement au milieu de ce calme. Son timbre calme et posé vint perturbé le sommeil de l'adolescente. Le son de sa voix la réveilla, la sortit de son endormissement. Elle se releva à côté de lui. Droite, assise en tailleur à la droite du garçon, Luva se frotta les yeux. Elle le regarda un moment avant de comprendre le sens de sa phrase :

- J'ai le cœur qui bat plus vite...

Luva le regarda avec de grands yeux curieux. Son coeur aussi battait plus vite depuis qu'elle s'était approchée du garçon. Elle avait d'abord pensé que c'était par manque d'habitude de rester si près d'un individu masculin. Après tout depuis qu'elle le pouvait elle les évitait comme la peste. Mais Ecko était si différent... Sa curiosité reprit le dessus.

-Pourquoi ?

Sa question avait volé du bout de ses lèvres aux oreilles d'Ecko comme une feuille sortie de nulle part mais qui voletait par ci par là. Elle attendit sa réponse.

Le ciel se couvrait d'une couleur grisâtre tirant vers le bleu. Luva se coucha sur le dos, les jambes pliés, les mains derrière la tête. Elle fixa son regard sur le plafond céleste pour regarder les premières étoiles de ce soir apparaître. Elle faisait souvent ça quand elle était petite. Et elle aimait regarder les petits points lumineux pointer dans le ciel qui s'assombrissait.

Elle dit alors innocemment :

-On va pouvoir regarder les étoiles.

Mais elle s'aperçut aussitôt de sa gaffe. Elle ne s'était pas rappelée qu'Ecko ne voyait pas.. Elle s'excusa rapidement, honteuse. Et pour se faire pardonner elle lui expliqua ce qu'elle voyait.

-Le ciel est tout sombre mais bientôt il sera illuminé. Tiens en voilà une, elle est belle, fine, et elle brille fort. C'est beau les étoiles.

-Pourquoi ?

C'était une excellente question... Pourquoi ?? C'était justement cette question qui le turlupinait. Pourquoi ??

"Je ne sais pas... avoua-t-il, c'est nouveau, comme sensation... C'est la première fois que quelqu'un est aussi proche de moi... Et puis tu es... en tout point différente de ceux que j'ai rencontrés jusqu'à maintenant... dans ta façon de faire, dans tes mouvements, dans ta façon de parler..."

Luva se coucha sur le dos. Le froid s'engouffra là où elle s'était tenue blottie quelques secondes plus tôt. Il la rejoignit. Après tout, la chaleur dégagée par le corps de l'Ookami était douce, apaisante, protectrice. Il se sentait bien, auprès d'elle. Et étrangement, il avait envie que cet instant dure plus longtemps...

-On va pouvoir regarder les étoiles.

L'aveugle eut un mouvement de surprise. Des étoiles ?? Il avait déjà entendu ce mot auparavant, mais il n'avait jamais pu savoir ce que cela voulait dire...

Luva lui expliqua alors très rapidement, comme si elle avait dit une bêtise :

-Le ciel est tout sombre mais bientôt il sera illuminé. Tiens en voilà une, elle est belle, fine, et elle brille fort. C'est beau les étoiles.

Ecko soupira. Puis il se souvint de ce que lui racontait son mentor :

"Tu sais, il me revient en mémoire quelque chose que me racontait mon maître. Il me disait que les étoiles étaient les âmes des mortelles. Toujours en place, comme les gardiennes de ce monde. Selon ses termes, elles sont les soleils de la nuit, filles des rêves..."

Il marque une pause.

"Si c'est vrai -ce que je crois-, tu devrais sans nul doute trouver les nôtres, quelque part..."

Il tourna la tête vers Luva, couchée à côté de lui. Elle était presque endormie. L'aveugle sourit. Puis, doucement, il glissa sa main dans la sienne, et retrouva la sensation qu'il avait éprouvé auparavant. Cette sensation de bien-être, qu'il ne voulait surtout pas quitter...

Ecko expliqua à l'ookmai que son coeur battait fort à cause de la nouveauté de la situation pour lui. Et qu'elle était très différente de tous ceux qu'il avait rencontré avant. Pour Luva aussi ce n'était pas une ambiance habituelle. Et Ecko était aussi très différent de tous les hommes connus.

La garçon se coucha près d'elle. Les yeux de Luva étaient tous petits, à moitié fermés. Elle se rendormait presque. Il lui expliqua qu'on lui avait appris que les étoiles étaient les âmes de mortelles, qui veillaient sur le monde, on lui avait dit que c'était les soleils de la nuit, les filles des rêves.

Tout cela émerveilla la jeune ookami. Elle se laissa bercer par la voix d'Ecko qui lui racontait tout ça sur les étoiles. Elle avait les yeux fixés sur le ciel qui était de plus en plus sombre mais de plus en plus parsemé de petites lumières étincelantes. Elle rêva alors que sa grand mère était parmi elle. Depuis toute petite Luva s'identifiait à sa grand mère qu'elle n'avait jamais connu. Elle méprisait sa mère qui l'avait abandonnée mais vénérait sa grand-mère qu'elle imaginait comme douce et aimante. Elle s'imaginait dans ses bras. La vieille dame n'avait pas de visage dans la tête de l'adolescente, c'était juste une figure protectrice, une présence douce.

Luva s'assoupit, elle rêva que sa grand mère la regardait de là haut et veillait sur elle depuis les étoiles ou elle vivait. Elle entra dans un profond sommeil jusqu'à ce qu'elle sentit quelques choses dans sa main. Ecko venait de glisser ses doigts entre les siens et de serres sa menotte dans la sienne. Luva n'avait jamais eu une main si enchevêtrée dans la sienne. Mais c'était tout chaud, et doux. Luva ne bougea pas. Elle le laissa prendre sa main sans réagir. Les contacts avec la peau du garçon était de plus en plus tendres. Elle commençait à aimer ça.

Mais cette main dans la sienne, l'avait un peu réveillé et elle ne trouvait plus le sommeil. Est ce qu'Ecko dormait à côté d'elle. Elle tendit l'oreille et entendit le souffle léger du jeune homme. Il faisait nuit noire à présent. Luva se redressa. Elle regarda un moment le jeune homme sans doute assoupi car immobile près d'elle. Elle tendit ensuite le cou vers le ciel et se remit à observer les étoiles. Et telle un enfant elle se mit à leur donner des noms. Espérant que l'une d'entre elles la protège dans la suite.

N'aimant pas trop le silence qui régnait maintenant dans la nuit noire Luva décida de le briser, au risque de réveiller le jeune homme :

-Tu vis seul ici ? Tu n'as pas de famille ?

Elle se souvint qu'il n'avait lui non plus jamais connu son père. Mais elle ne se rappelait pas si il lui en avait dit plus sur lui.

Ecko avait réduit le flux d'énergie qui le traversait au minimum. Ou plutôt son organisme l'avait décidé pour lui. C'était toujours ainsi lorsqu'il s'assoupissait. La minuscule main de Luva nichée au creux de la sienne, tous deux allongés côte à côte, il se sentait en sécurité. Et puis la nuit était calme, fraîche. Idéale.

Luva bougea. Doucement. Elle se redressa. Le garçon se demanda si elle s'était endormie et qu'il l'avait réveillée... Dans le doute, il se mordit la lèvre.

La brume des rêves commençait à envahir son esprit. Peu à peu, le monde réel s'effaçait pour laisser place à celui du mystérieux, de l'innocence et du fantastique. Luva brisa le silence qui avait pris possession d'eux et de la plage :

-Tu vis seul ici ? Tu n'as pas de famille ?

Il attendit une ou deux minutes avant de se redresser à son tour. La jeune Ookami était assise, le visage tourné vers le ciel.

"Non, je n'ai pas de famille. Je n'ai jamais connu mes parents. Je suis né dans le Pré, où j'habite désormais. Seule ma mère m'a mis au monde. Mon père avait disparu. Je ne sais rien de lui. Et très peu sur ma génitrice. Elle est morte peu de temps après."

Une larme perla au coin de sa joue. Elle descendit lentement cette dernière, avant de s'échouer au commissures de ses lèvres, déposant un léger gout de sel sur ces dernières. Non sans se demander si Luva avait aperçu cette tristesse, il continua :

"Je vis seul depuis quelques années déjà. J'ai été recueilli par celui qui a été mon mentor durant le début de ma vie. Quelqu'un de bien. De gentil. Quelqu'un que je t'aurais présenté s'il avait été encore en vie... Il m'a tout appris. Il a été la seule famille que j'ai jamais eu..."

Il sourit une nouvelle fois à Luva. Il aurait très bien pu éclater en sanglots, comme le laissait préméditer cette larme scintillante au coin de l’œil... Mais il s'était juré de ne pas être triste. Et pour l'instant, il tenait sa promesse...

"J'ai toujours été un solitaire, soupira-t-il, toujours à vivre de-ça de-là... Aujourd'hui, bien que cette vie soit encore profondément ancrée en moi, d'où ma présence ici en cet instant, j'aspire à une vie simple dans le Pré, chez moi... mais seul, c'est dur à supporter... c'est pour cette raison que mon côté vagabond va encore s'exprimer longtemps, je pense."

Ecko lui raconta un peu sa situation. Son histoire en quelques sortes. Il avait l'air attristé pendant qu'il lui énonçait tout ça. Elle vit scintiller une petite larme au coin de son oeil, et devina qu'elle coulât le long de sa joue quand elle la vit disparaître. Elle ne savait pas trop quoi dire. Elle n'avait vraiment pas l'habitude de réconforter les gens, et la compassion n'était pas vraiment faite pour elle. Avec tout ce qu'elle avait vécu de douloureux elle avait beaucoup de mal à faire preuve d'empathie face à la douleur des autres. Pourtant en ce qui concernait le garçon, son coeur se pinça quand elle vit qu'il était triste. Elle préférait de loin son sourire.

-J'ai toujours été un solitaire, toujours à vivre de-ça de-là... Aujourd'hui, bien que cette vie soit encore profondément ancrée en moi, d'où ma présence ici en cet instant, j'aspire à une vie simple dans le Pré, chez moi... mais seul, c'est dur à supporter... c'est pour cette raison que mon côté vagabond va encore s'exprimer longtemps, je pense.

Il finit en disant cela dans une sorte de soupir. Luva comprit qu'il n'aimait pas vivre seul. Elle laissa l'écho de la voix du garçon s'évanouir dans le silence de la nuit puis se recoucha sur le dos, sa main libre derrière la tête. Elle regarda un moment les étoiles et tourna son visage en direction d'Ecko. Elle le regarda silencieusement puis ajouta :

-J'aime pas non plus vivre seule.. Mais la liberté n'a pas d'amis, je ne veux pas qu'on me la vole encore. Elle le regarda encore, réfléchissant. Même si je crois que tu vas être mon ami.

Elle tourna à nouveau son regard vers le ciel scintillant, la nuit était fraîche mais dégagée. Aucun nuage ne venait perturber la vue splendide qu'offrait la voûte étoilée. Pourtant le vent soufflait. Luva resta immobile en attendant la réaction du garçon. Elle avait toujours sa main dans la sienne. Elle était chaude et lui apportait un peu de réconfort dans la fraîcheur de la nuit. C'était comme une douce protection. Une tendre attention...

Spoiler:

-J'aime pas non plus vivre seule.. Mais la liberté n'a pas d'ami, je ne veux pas qu'on me la vole encore. Même si je crois que tu vas être mon ami.

Cette dernière phrase résonna longtemps aux oreilles de l'aveugle. En ce qui le concernait, cela s'était imposé comme une évidence à partir du moment où elle avait pris ses mains. Bien entendu qu'ils allaient être amis. Il en avait bigrement bien l'intention.

Il remarqua alors que Luva n'avait pas lâché la main qu'il avait glissé entre les doigts de la jeune fille quelques minutes auparavant. Ils étaient fins, longs, doux. Le garçon se retint de les serrer. Ils paraissaient tellement fragiles... Il raffermit pourtant légèrement sa prise. Un mouvement infime. Il ne savait pas pourquoi, mais sa cage thoracique était en feu. Elle était si proche... Il n'avait jamais entendu le bruit du tam-tam, mais il était certain que son cœur reproduisait parfaitement le rythme.

Même s'il ne distinguait rien de ce qui s'était allumé là-haut, il tourna son visage vers le ciel. Le silence avait repris sa place initiale, entre eux-deux. de longues minutes qui semblèrent des heures à Ecko passèrent sans que rien ne se passe...

Soudain, l'aveugle perçut un mouvement sur la toile des cieux. Un trait se dessina.

"Tu l'as vue ??" demanda-t-il à Luva.

Puis il ajouta :

"Si j'accorde à ma croyance le fait que les étoiles sont les âmes de nombreuses créatures présentes sur cette île, je pense que celles qui suivent le mouvement de celle-ci pour se jeter dans la mer représentent celles en fin de vie..."

Il marqua une pause.

"Il me semble que l'on a droit à un vœu, en cet instant..."

Une nouvelle fois, il sourit. C'était la deuxième fois qu'il faisait un vœu dans une circonstance pareille. Et le premier s'était réalisé, même s'il avait attendu près de deux ans...

-Tu l'as vue ??

Dans le ciel venait de se dessiner un trait de lumière blanche. Une étoile s'était mise en mouvement et avait laissé une traînée de lumière derrière sa trajectoire. C'était beau. Luva resta silencieuse face à ce spectacle. C'était la première fois qu'elle voyait une étoile bouger. Tout s'était passé si vite. Ecko lui expliqua quelques choses sur les étoiles qu'elle eut du mal à comprendre. Les mots qu'il employait étaient parfois complexe pour l'ookami qui n'avait eu aucun enseignement quelconque. Il lui proposa ensuite de faire un voeu. Elle se demanda pourquoi. Un voeu ? Qu'est qu'elle pourrait bien souhaiter ?

-Pourquoi il faut faire un voeu ? Demanda-t-elle innocente.

On ne lui avait jamais permis de formuler ce qu'elle voulait vraiment et par conséquent elle ne savait pas trop quoi demander à cette étoile qui avait bougé. Elle regarda le jeune homme il sembla se concentrer sur quelques choses, peut-être était-il en train de faire son voeu à lui. Luva fut curieuse de la nature de celui ci et le lui demanda :

-Qu'est ce que tu as fait comme voeu ? Qu'est ce que je peux demander moi ?

L'ookami n'avait pas l'habitude de ces petits rituels concernant certaines banalités du quotidien. Faire un voeu face à une étoile filante lui paraissait étrange.

Elle s'était relevée quand le jeune homme lui avait demandée si elle avait vu l'étoile bouger. Elle avait laissé son regard longtemps fixé sur le ciel même après que l'astre ait disparu. Elle s'était laissée émerveiller par la lumière blanche qui avait ébloui le ciel. La main d'Ecko était toujours dans la sienne et elle ne voulait pas s'en détacher. C'était doux et chaud, elle voulait toujours la garder près d'elle. Le garder près d'elle, peut-être.

Soudain Luva se rendit compte... Ecko lui avait demander si elle avait vu l'étoile. Oui elle l'avait vu, elle avait pu voir la splendeur du mouvement, si rapide et si beau. Elle avait pu observer l'étoile en mouvement, elle avait pu admirer la lumière qui s'était faite dans le ciel. Mais lui.. comment avait-il su ? Comment avait-il pu savoir qu'il y avait une étoile filante dans le ciel ? Tout cela rendit perplexe Luva un moment qui ne put s'empêcher de lui poser la question franchement :

-Comment tu as vu l'étoile alors que tu peux pas voir ? Demanda-t-elle très étonnée.

En posant sa question elle avait tourné son regard sur le visage pâle du jeune homme qu'elle discernait à peine dans la nuit sombre. Elle avait attendu ses réponses calmement, moins impatiente qu'au début, car elle savait qu'il lui répondrait.

-Pourquoi il faut faire un vœu ?

Visiblement, Luva ne partageait pas cette croyance. Ou plutôt ne comprenait-elle pas le sens que l'aveugle donnait à cette signification.

"C'est un peu comme un rituel. Une croyance plutôt... J'ai appris, étant petit, que ce que les hommes appellent 'étoile filante' ont le pouvoir de réaliser un souhait. Il suffit de le formuler intérieurement... J'y crois dur comme fer,bien que certains sont sceptiques face à cette croyance et réfutent celle-ci..."

L'aveugle n'appartenait à aucune religion. Il croyait en ce que son mentor lui avait appris, ce qu'il lui avait légué comme enseignement. Cela en faisait partie...

-Qu'est ce que tu as fait comme voeu ? Qu'est ce que je peux demander moi ?

"Je ne peux pas te dévoiler mon souhait, petite Luva. Cela reviendrait à le réduire à néant. Cela fait aussi partie de cette croyance..."

Il marqua une pause, réfléchissant à ce qu'il pourrait répondre à la seconde question. Il ne fallait pas qu'il lui donne un élément trop concret, sous peine de voir le vœu refusé, ni trop abstrait pour qu'elle comprenne...

"Je ne sais pas... Je crois que l'on peut tout demander, sauf l'impossible, comme faire apparaître un repas dans les cinq secondes, ou remonter le temps..."

Il laissa un silence. Soudain, Luva sembla frappée par une évidence monstrueuse :

-Comment tu as vu l'étoile alors que tu peux pas voir ?

Ainsi, il avait oublié de lui expliquer ce détail infime, mais qui lui avait sauvé la vie maintes fois...

"Comme je te l'ai expliqué, pour compenser mon handicap, je laisse un flux continu d'énergie me traverser. C'est ainsi que je distingue les mouvements et les formes. Or, cette énergie provient directement des cieux, puisque c'est là-haut que la magie est née. Ce flux d'énergie qui me traverse provient directement des cieux. Mais étant donné que les formes concrètes y sont inexistantes, seuls les mouvements me sont perceptibles... C'est pour cette raison que j'ai perçu cette 'étoile filante'."

Il plongea son regard vide dans celui de Luva, qu'il aurait bien aimé connaître... Il resta ainsi une ou deux minutes. Puis il tourna de nouveau sa tête vers le ciel. Son cœur s'était calmé... légèrement.

"Alors, ce vœu ??"

Le garçon expliqua à Luva pourquoi il fallait faire un voeu et il lui expliqua aussi qu'il ne pouvait pas lui dévoiler le sien sous peine qu'il ne se réalise jamais. L'ookami fut troublée. Elle resta silencieuse face à l'information, il lui donna des exemples de voeux qu'elle pouvait formuler. Mais elle ne savait pas encore quoi souhaiter. Elle se dit alors qu'il devait être trop tard pour faire son voeu, l'étoile était partie depuis bien longtemps. Elle réfléchit encore. Elle pouvait toujours essayer.

Ecko lui dit à nouveau comment il « voyait » avec l'énergie qui le traversait, Luva ne comprenait pas tout mais elle acquiesça quand il eut terminé son explication. Tout en ce garçon était étrange. Il était si différent. C'est alors qu'il lui demanda :

-Alors, ce voeu ??

Luva resta interdite. Elle le dévisagea, se creusant les méninges pour trouver quelques choses à souhaiter. Puis son visage s'illumina, son voeu venait de s'inscrire comme une évidence dans son esprit. Elle avait gardé les yeux rivés sur le visage d'Ecko si longtemps qu'elle en vint à faire un voeu à son sujet. Resterait-il son ami ?

Elle sourit, ayant formuler correctement son voeu dans sa tête elle regarda le jeune homme avec un visage tout sourire. Et malicieusement pour lui signifier qu'elle avait bien comprit, elle lui répondit :

-Si je te le dis, il se fera pas..

Elle sourit de plus belle après avoir dit cette phrase. Elle aimait bien la présence du garçon. Et n'avait toujours pas bouger sa main qui tenait la sienne. Ils étaient tous les deux sur la plage, dans la nuit noire et ils parlaient comme si tout était normal. Jamais Luva n'était jamais restée dehors en pleine nuit. Elle n'était libre que depuis quelques temps et le vent dans ses oreilles, voir les étoiles, être en compagnie d'un garçon gentil, tout cela lui faisait plaisir, elle entrevoyait la vie différemment. Tout était remis en cause dans sa tête. Elle n'avait pas imaginé que la liberté serait si agréable. Elle savait que c'était bon mais pas aussi doux. Elle jeta encore un regard en direction du garçon, mais ce coup ci, ne le lâcha pas des yeux pendant un long moment.

-Si je te le dis, il se fera pas..

Le garçon étouffa un petit rire. Elle avait compris, et avait formulé un vœu... Il espéra de tout cœur qu'il se réalisera très tôt. La main de Luva nichée au creux de la sienne bougea légèrement. Il se demanda depuis combien de temps ils étaient ainsi... Longtemps, sans aucun doute.

Une mouette passa au-dessus de leurs têtes, sans doute insomniaque. Au loin, une chouette hulula. Ecko aimait beaucoup ces bruits de la nuit. Les sons étaient très agréables. Comme la présence de Luva à côté de lui.

"Et si on marchait un peu ??" proposa-t-il.

Et sans attendre de réponse, il l'entraîna à sa suite vers l'océan, dont les vagues continuaient inlassablement de lécher le sable fin, comme un métronome infatigable, ou encore une horloge que le temps aurait oubliée...

Marcher lui fit du bien. Cela aéra quelque peu son esprit embrumé. La fraîcheur du soir était somme toute agréable. Une légère brise marine s'était levée, et balayait l'océan, projetant des micro-gouttelettes sur la peau de l'aveugle. Luva marchait à sa droite, toujours silencieuse.

"Est-ce que tu connais la magie, Luva ?? As-tu des aptitudes magiques ?? Je suppose que oui, puisque tu es une Ookami, soit une créature à demi-magique... mais je n'ai jamais eu l'occasion d'en apprendre plus sur les autres créatures..."

Cette question lui avait subitement traversé l'esprit, car il se demandait si, finalement, elle ne lui avait pas jeté un sort qui aurait modifié les réactions de son corps... Mais il rejeta aussitôt cette hypothèse qu'il considéra comme absurde. Après tout, n'avait-elle pas pris peur en le voyant s'approcher ??

Ils rencontrèrent les premiers rochers de la plage. D'abord petit, ils devenaient de plus en plus gros au fur et à mesure qu'ils avançaient... L'aveugle perçut la présence de petites falaises, non loin devant.

"Viens, lui dit-il, avec un peu de chance, on pourra trouver une grotte ou une crique pour passer la nuit..."

Et si on marchait un peu ??

L'élan qu'il avait mis dans sa phrase releva Luva entraînée par le jeune homme qui se levait. Ne voulant pas lâcher sa main, l'ookami se mit sur pieds aussi rapidement qu'elle le put pour rester près d'Ecko. Sa présence était douce et rassurante, elle ne voulait plus s'éloigner de lui.

Ils marchèrent silencieusement pendant un moment. Luva profitait de l'air dans ses oreilles et restait toutefois sur ses gardes. La nuit était bien sombre et quelqu'un aurait pu surgir de n'importe où. Elle restait en alerte.

Le jeune homme lui demanda alors si elle connaissait la magie, et si elle avait des aptitudes magiques. Luva resta interdite un moment, observant le garçon. Elle se demandait ce qu'il entendait à travers ces mots. Sûrement qu'être une enfant-loup n'était pas très normal, mais est ce que cela relevait du magique ? Luva ne le pensait pas. Elle ne pensait pas être dotée de pouvoirs surnaturels. Elle était juste une fille-loup. Mais elle se posa des questions plus profondément avant de répondre au garçon. Elle avait remarqué qu'elle était bien plus agile, et plus endurante que les enfants du village quand elle était encore aux soins de sa mère, c'était il y a bien longtemps, Luva avait perfectionné ses facultés en vivant au milieu de la forêt avec la chamane, elle grimpait aux arbres les plus hauts très rapidement, elle courait vite, et pouvait se faire très discrète et très agile. Mais elle ne pensait pas que tout ça fasse partie de la magie. Elle répondit donc déçue :

-Je sais pas. Si courir vite et grimper aux arbres est un pouvoir alors oui. Mais je crois pas, je connais pas trop la magie.

Ils avaient continué à marcher, ils se dirigeaient vers des rochers. Et Ecko proposa à l'adolescente de s'en approcher plus, afin de trouver un abri pour passer la nuit. Luva ne broncha pas et suivit le garçon. Ils avancèrent donc en direction des falaises. Ils gravirent les roches et après un instant ils trouvèrent un creux qu'avait formé l'érosion au sein même de la roche. Les vagues avaient mangé la pierre qui avait formé un toit pour des voyageurs tels que les deux. Ils entrèrent et Luva demanda à l'aveugle si l'endroit lui convenait. Elle l'entraîna au creux de la roche et l'amena près du rocher du fond, celui qui avait été consumé par la mer. Ici tout était calme, on entendait encore la mer mais le bruit des vagues était maintenant sourd. Il n'y avait que quelques gouttes qui tombaient près de là, faisant résonner un plic ploc incessant.

Luva repensa à la question d'Ecko et s'en étonna soudain :

-Pourquoi cette question sur la magie ?

Luva répondit à Ecko, de manière plutôt déçue. Elle ne semblait pas posséder de pouvoir magique, mais plutôt de formidables aptitudes physiques. Mais alors, d'où provenait l'énergie qui émanait du corps de la jeune fille... Le garçon décida de laisser cette question en suspend, et pourquoi pas d'y revenir plus tard.

Après quelques minutes de 'crapahutage' intense sur les rochers envahis de coquillages et moules en tout genre, les deux amis trouvèrent finalement une sorte de caverne à même la roche, suffisamment grand pour qu'ils s'y glissent tous les deux, et s'y tiennent largement assis. Luva lui demanda si l'endroit lui convenait. Bien sûr !! Ils étaient dans une grotte quelque peu humide, il faut le reconnaître, mais suffisamment surélevée par rapport au niveau de l'océan, ce qui signifiait qu'ils ne risquaient en rien la marée montante, et assez grande pour les accueillir tous deux. Que demander de plus ??

L'aveugle écouta le bruit des vagues, devenu plus sourd, avant que la jeune Ookami ne brise le silence, à son grand plaisir. Il s'était installé entre eux un silence gêné. Et Ecko détestait les silences gênés. De plus, l'entendre parler était devenu pour lui un 'plaisir'.

-Pourquoi cette question sur la magie ?

"Je me demandais... vois-tu, ceux qui vivent ici, sur Erya, possèdent tous des aptitudes pour le moins... étranges. Certains peuvent voler, d'autres lancer des boules de feu, ou bien de glace. Ou bien se dématérialiser... -il ajouta- comme moi."

Il tourna son visage et ses yeux vides vers Luva.

"Je pensais que toi aussi, tu possédais quelque aptitude magique. Apparemment, tu ne les as pas encore découvertes..."

Un plic-ploc envahissait l'endroit. Cela ne contraria pas l'aveugle, qui trouvait ce bruit amusant. Après tout, n'étaient-ils pas dans une caverne, à côté de l'océan ?? Mais il se demanda si ce son plairait longtemps à l'Ookami...

Lentement, il s'allongea sur le sol par endroits mouillés de la caverne. Et fut agréablement surpris de constater que sa main était encore dans celle de Luva. Apparemment, le contact entre les deux amis ne gênait plus ni l'un ni l'autre...

Ecko expliqua à l'ookami que sur Eyra, la plupart des habitants avaient des facultés. Chacun avait sa spécialité. Luva fut surprise d'entendre ça. Elle ne savait pas qu'il existait des gens avec des pouvoirs. Le jeune homme finit sa phrase en prenant comme exemple la dématérialisation, disant que comme lui certains possédaient ce pouvoirs. Luva n'avait jamais entendu ce mot. Ou du moins elle ne comprit pas ce qu'il voulait dire. Tout comme le mot « humanoïde » avait résonné dans sa tête sans que le sens ne lui parvienne, le mot « dématérialisation » le fit de même. Elle tente de se le répéter mais elle eut une certaine difficulté à enregistrer toutes les syllabes, c'était un long mot. Elle demanda alors au jeune homme ce que ça signifiait :

-C'est quoi dématérilation ? Demanda-t-elle gauchement, et oubliant en route le mot exact.

Elle le regarda se coucher. Et fit de même. Le sol était humide, voire mouillé à certains endroits. Quand le dos découvert de Luva sentit quelques gouttes au sol, la jeune femme frémit. C'était froid.

Les deux étaient couchés à même le sol, la nuit était bien noire. On ne voyait plus les étoiles, le toit de pierre cachait le ciel scintillant. Ils avaient chacun la main de l'autre dans la leur. Et depuis toute à l'heure ils évoluaient naturellement comme cela. Ils s'étaient tous deux accoutumés à tenir quelques choses. Ils étaient attachés, liés. Leurs doigts entremêlés les liaient l'un à l'autre, étroitement et tendrement.

Dans cet endroit les paroles résonnaient. La question de Luva était restée dans les lieux avant de s'estomper et laisser place au silence attendant la réponse du jeune homme.

Luva lui demanda ce qu'était la dématérialisation. Il sourit une nouvelle fois devant sa question gauche, car elle ne l'avait somme toute pas bien assimilé. Apparemment, la pauvre Ookami n'avait pas véritablement le sens des mots. Une question lui vint, mais il l'étouffa, car il se devait de répondre d'abord à celle qui lui avait été posée. C'était une marque de politesse à laquelle il tenait énormément.

L'aveugle s'interrogea. Ils étaient tous deux allongés côte à côte, leurs mains toujours jointes. Aussi, lui faire une démonstration soudaine de son pouvoir de dématérialisation pourrait l'inquiéter, ou pire, lui faire peur. Il décida alors de tenter de le lui expliquer :

"La dématérialisation consiste en une dépense d'énergie visant à faire disparaître celui qui l'utilise. Si j'utilisais ce pouvoir ici et maintenant, tu ne me verrais plus, car je serais entre guillemets 'invisible', mais tu continuerais de ressentir ma présence, de même que le contact de ma main dans la tienne. Je ne l'utilise que rarement, car il ne me sert que pour me dissimuler aux yeux d'éventuels ennemis, ou bien se manifeste de lui-même lorsque je me sens en trop grand danger. Je n'arrive pas encore à le maîtriser pleinement..."

Ses paroles résonnèrent un moment contre les parois de la caverne. D'abord graves et sonores, puis de plus en plus faibles, jusqu'à ne devenir qu'un murmure inaudible, puis plus rien. Ecko laissa échapper un petit 'héhé' d'amusement, car il venait de remarquer quelque chose de totalement idiot mais amusant. Il expliqua à la jeune fille la raison de sa brève hilarité :

"Je viens de me rendre compte... Le fait que nous entendions nos voix résonner s'appelle l'écho... Comme mon prénom... C'est amusant non ??"

Et comme pour illustrer ses dires, il laissa échapper un petit 'Luva' sonore qui alla se répercuter sur les murs de la minuscule grotte. Il aimait bien le son que procurait à ses oreilles ce nom fluant et doux.

Le silence reprit ses droits. Comme après chaque parole. C'est alors que la question que se posait Ecko quelques minutes plus tôt surgit à nouveau dans son esprit.

"Luva... sais-tu lire et écrire ?? Ou l'un des deux ??"

Ecko décrivit ce qu'était la dématérialisation, Luva resta silencieuse après cette explication. C'était vraiment fort. Elle aurait aimé savoir faire quelques choses comme ça. Le garçon se mit soudain à rire. L'ookami se tourna vers lui pour connaître la raison de son gloussement. Elle ne vit rien de drôle, jusqu'à ce qu'il lui explique qu'il s'appelait comme le mot qui traduisait que leurs voix résonnent dans la caverne. Luva sourit. Il continua en disant un « Luva » qui fit écho sur les parois rocheuses et s'estompa. La jeune fille apprécia entendre son prénom en résonance dans l'abri.

Couchée sur le dos, sa queue était écrasée, dans le sable cela ne l'avait pas dérangée mais ici, alors que le sol était dur, elle ne se sentait pas à son aise. Elle décida donc de se tourner. Elle s'installa sur le côté, son regard en direction du garçon, elle ne lâcha pas sa main le temps de se tourner. Elle ne l'avait pas encore lâcher, et n'était pas prête à le faire.

Le garçon lui demanda soudainement si elle savait lire et écrire. Luva ne broncha pas, elle resta immobile et n'eut aucune réaction apparente avant de lui répondre mais on sentit dans sa voix un peu de tristesse.

-Non, personne m'a appris.

Elle le dévisagea, se demandant alors comment il faisait pour lire sans y voir... Elle n'attendit pas longtemps avant d'ouvrir les lèvres et d'articuler sa question :

-Comment tu fais pour lire ?

Dans le dos de Luva sa queue faisait de lents mouvements, fouettant le sol sur lequel elle était allongée. L'ookami qui avait enroulé son foulard autour de ses épaules, s'en servait à présent comme d'une couverture, l'humidité de la caverne la faisait parfois frissonner, et elle n'aimait tellement pas avoir la peau toute rugueuse à cause du froid qu'elle préférait se couvrir en prévoyance.

Elle avait les yeux rivés sur le visage d'Ecko, ses yeux étaient si blancs. Ils l'intriguaient. Elle ne comprenait déjà pas pourquoi les siens étaient de couleurs différentes, mais ceux d'Ecko la surpassaient, ils étaient vides, aucune couleur, rien, juste du blanc. Elle l'observait silencieusement attendant qu'il lui réponde. À travers ses yeux vitreux, elle aurait presque cru qu'il la voyait.. Mais ce n'était pas le cas, jamais il ne pourrait observer comme elle était en train de le faire, ses yeux.

-Non, personne m'a appris.

Le garçon s'en doutait. Autrement, elle aurait eu le sens des mots et leur signification.

-Comment tu fais pour lire ?

L'aveugle soupira. Un soupir à la fois triste et nostalgique. Du temps où il était plus petit, lors de son apprentissage, son mentor lui lisait parfois des histoires, des contes... Lui était fasciné en écoutant les héros de ces histoires se battre pour les personnes qui leur étaient chères, et même parfois pour celles qu'ils aimaient.

"Je ne lis pas. C'est quelque chose qui, malheureusement je pense, me sera à jamais interdit. Mais j'ai quand même appris à écrire, ce qui me permet de savoir quelle forme harmonieuse ou non ont les lettres. Il m'arrive d'écrire, en de rares occasions."

Son attention revint sur le plafond de la caverne. Quelques gouttes tombaient de-ça de-là, victimes de l'attraction terrestre. Luva remua à ses côtés. Sans doute était-elle mal installée et visait à rectifier ce problème. Il sentit soudain son souffle contre sa joue. Pourtant, elle ne s'était pas rapprochée. Il en déduisit donc qu'elle s'était mise sur le flanc, et que l'endroit exigu rendait cette sensation de proximité plus forte encore.

Il se tourna aussi. Et son visage arriva au niveau du sien. Les yeux grands ouverts, il se remémorait les traits qu'il avait caressé du bout des doigts sur la plage. Et ils apparaissaient, nets dans son esprit. Doux, harmonieux... le garçon pensa qu'en cet instant, il pouvait utiliser le mot 'joli'...

Il minimisa son flux d'énergie pour que ce dernier ne lui apporte plus que les détails du visage de Luva. Il percevait ses oreilles, la forme de son visage, ses cheveux lisses qu'il avait sentis tantôt...

Néanmoins, il lui manquait des informations, comme toujours. Souriant encore, ses yeux vides plantés dans ceux de l'Ookami, il tendit la main vers elle, lentement, sans vouloir lui faire peur... et effleura une nouvelle fois sa peau... Comme si le contact avec la main n'était pas suffisant. C'était une autre sensation... Plus intense... Plus douce...

"C'est étrange, dit-il, je n'arrive pas à comprendre la signification de la douceur de ta peau... Mais je suis certain qu'il y a une raison..."

Elle était chaude, sous ses doigts... Le garçon suspendit son geste...

Ecko ne pouvait pas lire, il avait l'air triste en disant ceci à l'ookami. Luva serra un peu sa main autour de la sienne en guise de réconfort peut-être. D'habitude la jeune fille ne faisait pas preuve d'empathie avec les gens, elle n'arrivait pas à être atteinte par les sentiments des autres. Ayant vécu un passé lourd et douloureux, Luva ne s'émouvait pas des malheurs des autres, les comparant aux siens et n'y trouvant aucun intérêt. Or là, l'adolescente était transformée, le jeune homme était si différent des autres qu'elle n'arrivait pas à faire preuve d'indifférence à son égard. Sa cécité étant un fait nouveau pour Luva, et le contact que leurs mains créaient entre eux, faisaient sentir à l'ookami les choses d'une autre façon. Elle aimait tellement voir le sourire du garçon qui la regardait avec ses yeux vides qu'elle ne voulait pas qu'il sombre dans la tristesse.

Luva s'étant tournée, elle était plus proche du garçon, son souffle butait contre la joue de celui ci. Il dut s'en apercevoir et se tourna à son tour. Leurs souffles s'emmêlaient, ils étaient très près l'un de l'autre. Luva n'en fut bizarrement pas troublée, être si près d'un homme l'aurait dérangée, mais Ecko n'était pas comme les autres. Le silence se fit dans la grotte. Luva observait le visage du garçon. Et surtout ses yeux blancs qui l'interrogeaient.

Ecko bougea soudainement, il approcha lentement sa main du visage de la jeune fille qui voyant cela bloqua sa respiration. Quand l'autre main d'Ecko vint se poser sur sa joue, Luva ferma les yeux, ses épaules se contractèrent et elle s'immobilisa. La main du garçon était douce. Pourquoi faisait-il encore cela ? Luva resta interrogative, dans sa tête tout se mélangeait. Elle ne bougea pas. Elle aimait bien ce contact mais tout cela était étrange. Sa joue aurait rougi si sa peau n'était pas aussi foncée.

-C'est étrange, je n'arrive pas à comprendre la signification de la douceur de ta peau... Mais je suis certain qu'il y a une raison...

Ecko retira doucement sa main, laissant à l'endroit qu'il avait caressé une présence indescriptible sur la joue de Luva. L'adolescente ouvrit les yeux lentement, et décrispa ses épaules. Elle regarda tendrement le garçon. Elle ne comprenait pas bien ce qu'il venait de dire. Fallait-il une raison à la douceur de sa peau ? Elle ne saisissait pas ce que voulait dire le garçon. Elle le lui fit comprendre :

-Pourquoi.. ? Pourquoi il doit y avoir un sens ?

L'ookami avait posé sa question dans un chuchotement, sa voix n'avait pas voulu se faire forte. Et aucun écho ne résonna dans la caverne. Elle resta immobile, seul son pouce droit commença à caresser la main d'Ecko. C'était doux.

Ecko retira sa main. Il avait senti Luva se crisper lorsqu'il avait effleuré sa joue... Cela lui fit quelque peine. Il ne comprenait pas pourquoi... Il n'avait voulu que réitérer cette étrange sensation. Peut-être ne fallait-il pas abuser de cela, ne pas brusquer la jeune fille. Ne pas tout gâcher maintenant...

-Pourquoi.. ? Pourquoi il doit y avoir un sens ?

L'aveugle ne sut quoi répondre. Décidément, parfois, il pouvait être réellement idiot.

"Je ne sais pas, dit-il, peut-être n'y en a-t-il pas... C'est seulement qu'au vue de ma cécité, je cherche toujours une cause à un effet donné, et inversement, pour tenter de comprendre et découvrir le monde qui m'entoure."

Il essaya de se remémorer ses cours d'interprétation avec son mentor. Ne trouva aucune cause. Il ne devait décidément pas y en avoir...

Il sentit soudain la main de l'Ookami bouger légèrement dans la sienne, et son pouce commencer à caresser sa peau, à lui. Cette marque qu'il aimerait qualifier de tendresse provoque en lui une étrange décharge électrique qui parcourut son corps des pieds jusqu'aux oreilles... ou des oreilles jusqu'aux pieds, il n'en avait aucune idée précise. Cette fois-ci, il se retint de chercher une cause. Ce moment était l'un des plus doux de sa vie. Il fallait arrêter de réfléchir. Juste savourer.

"C'est doux, chuchota-t-il... C'est la première fois que quelqu'un me fait preuve d'une telle... gentillesse..."

Ils échangeaient leurs souffles. Ils étaient si près... Le garçon n'avait pas sommeil. Il était fasciné par cette créature étrange et... envoûtante. Oui, c'était cela : envoûtante. Il se demandait si cela n'était pas une forme de magie qui émanait de l'Ookami et pénétrait ainsi en lui... Non, c'était impossible. La magie nécessitait de l'énergie, or il n'en percevait aucune qui pouvait s'apparenter à de la magie.

Soudain, il fut frappé par une évidence. Ce qu'il ressentait en ce moment-même, c'était évidemment un sentiment extrêmement fort. De l'amitié ?? C'était plus que probable. Pourtant, pour lui, l'amitié ne provoquait pas des réactions aussi étranges et douces... Mais c'était seulement son point de vue (façon de parler).

Inconsciemment, il se mit lui aussi à caresser de son pouce la main de Luva... C'était si doux...

-C'est doux. C'est la première fois que quelqu'un me fait preuve d'une telle... gentillesse...

Luva resta interdite. Elle prit soudain peur de tout ce qui se passait. Elle se rendit compte qu'elle était couchée là aux cotés d'un inconnu. Le garçon avait été certes gentil, différent des autres qu'elle avait rencontré dans sa vie. Mais elle ne le connaissait pas. Qui était-il ? Elle sentit le souffle d'Ecko sur son visage. Ils étaient si près. Comment s'était-elle retrouvée là ? Elle changea de regard sur le visage du garçon. Elle recula brusquement pour reprendre un peu de distance entre eux. Il l'avait comme envoûtée et elle ne s'était aperçue de rien. Elle arrêta nettement de toucher la peau du jeune homme de son pouce. Elle desserra l'étreinte de sa main. Et resta silencieuse pour reprendre ses esprits. Que se passait-il ? Elle ne savait pas ce qui l'avait poussée à suivre Ecko jusqu'ici. Pourquoi était-elle restée près de lui ?

Luva se sentit terrifiée soudain, un frisson parcourut tout son corps. Elle ne bougea pas, observant toujours le visage d'Ecko. Elle ne voulait pas être piégée. Elle chuchota alors :

-Je te connais pas...

Luva se rappela alors pourquoi elle était là. Ecko lui avait donné à manger. Il avait répondu à ses questions. Il avait était doux. Il était tout le contraire des hommes qu'elle avait déjà rencontré. Ecko lui avait tenu la main, et lui avait parlé gentiment. Il ne lui avait pas sauté dessus avec un regard vicieux. Peut être que sa différence résidait dans sa cécité. Est ce qu'il était doux avec elle parce qu'il ne la voyait pas ? Luva se rassura un peu. Elle referma ses doigts sur ceux d'Ecko. Personne pour elle non plus ne lui avait jamais manifesté autant de tendresse et de gentillesse. On l'avait toujours traitée comme un animal. Comme une bête et un enfant maudit. Elle n'était pas quelqu'un à qui on avait tenu la main, à qui on avait caressé la joue. Elle avait passé tant de temps au centre de recherche qu'elle ne se souvenait plus de ce qu'était la douceur, la tendresse d'une étreinte. Ecko lui avait redonné tout ça. En un seul geste – sa main sur sa joue – il lui avait rendu le souvenir de la douceur. Elle avait été charmée. Tant pis. Elle ne voulait pas rester seule sur l'île inconnue et Ecko était arrivé. Il avait été doux, gentil, il lui avait expliqué et raconté pleins de choses, alors elle l'avait suivi. Elle resterait avec lui le temps qu'il voudrait bien de sa compagnie. Parce qu'il n'était pas comme les autres. Parce qu'il lui avait prouvé que les hommes ne sont pas tous vils, pervers, et sans coeur. Parce qu'il avait glissé sa main dans la sienne, parce qu'il lui avait caressé la joue, parce qu'il lui avait manifesté de la tendresse. Elle voulait rester auprès de lui, et ne plus rester seule, aux yeux et aux mains d'hommes vicieux. Le souffle de Luva ralentit un peu, sa frayeur précédente avait accéléré son rythme cardiaque. Elle se calma un peu. Et les yeux toujours fixés sur le visage du garçon elle lui demanda :

-Pourquoi tu es gentil.. ?

Soudain, Luva eut un mouvement de recul. Comme si elle avait été frappée par une évidence, une peur revenue du fond d'elle-même. Le contact dans sa main disparut. Aussi soudainement que le recul de l'Ookami qui se tassa au fond de la caverne, plus loin d'Ecko...

De quoi avait-elle peur ?? De lui ?? Avait-il fait quelque chose qu'il ne fallait pas ?? Il frissonna. Il n'avait pas envie d'être séparé d'elle. Il s'était habitué à sa présence. A son contact aussi. A son odeur. Il eut la réponse à ses questions :

-Je te connais pas...

C'était vrai. Ils ne s'étaient rencontrés que quelques heures auparavant. Ils ne savaient rien l'un de l'autre, même si Ecko s'était efforcé de lui apprendre sa vie, de lui apprendre à le connaître... Visiblement, cela ne lui suffisait pas... et c'était normal, après tout. Trois ou quatre heures, c'est trop peu pour connaître un inconnu. Il se rendit compte que lui non plus ne connaissait pas la jeune fille, finalement. Il lui avait raconté une partie de sa vie pour la mettre en confiance, pour qu'elle le connaisse. Elle ne lui avait rien dit...

"Non, tu ne me connais pas... moi non plus, je ne te connais pas..."

Elle avait l'air d'avoir des dizaines de pensées inverses qui s'entrechoquaient dans son esprit telles des iceberg dans un verre d'eau... Les doigts de la jeune fille se refermèrent soudain sur la main qu'ils avaient lâché quelques minutes plus tôt...

-Pourquoi tu es gentil.. ?

Le garçon écarquilla les yeux. Comment voulait-elle qu'il réponde à cette question ?? C'était sa nature. Il était un pacifique...

"Je ne sais pas... Je suis né ainsi... Pourquoi être haineux, ou juste désagréable envers ceux qui ne vous ont rien fait ?? -il leva ses mains à hauteur de ses yeux vides, comme pour essayer de les voir...- Je suis aveugle, comme tu le sais déjà. Ma cécité m'empêche de voir le monde tel qu'il est, de rencontrer des gens... C'est pour cette raison que je cherche constamment la paix avec tout le monde. Avec la nature aussi. L'harmonie est primordiale, dans cette vie, dans ce monde. Et pourtant, c'est la haine qui domine, qui dicte nos conduites."

Il s'accorda une légère pause.

"Erya s'appelle 'l'île des rêves'. Ce n'est pas par hasard. Cette île représente un havre de paix. Pourtant, elle est pervertie par endroits par quelques éléments qui préfèrent l'ombre à la lumière. Je ne fais pas partie de ceux-là. Pour moi, la gentillesse, la compassion et l'amitié sont les principaux sentiments qui doivent nous porter vers l'avenir. Ceux qui sont tristes, délaissés, abandonnés méritent eux aussi de connaître ces sentiments. C'est pourquoi je suis gentil, par nature. Je ne supporte pas de 'voir' des personnes tristes... et malgré mon handicap, je veux les aider..."

Il avait parlé ses yeux d'un blanc immaculés plantés dans ceux de Luva. Il voulait lui montrer que ce qu'il disait était le fond de sa pensée, son ressentiment, ses convictions profondes... Il pensait ainsi. Il n'arrivait pas à envisager de faire du mal à qui que ce soit...

Ecko essaya d'expliquer à l'ookami pourquoi il ne faisait de mal à personne. Il lui expliqua comment il voyait les choses. Luva ne dit rien à ce qu'elle venait d'entendre. Elle écouta sa voix bourdonnante dans le creux des roches. Elle regarda tendrement ses lèvres qui se mouvaient. Et passa son regard sur les yeux blancs d'Ecko qui la fascinait. Elle lui avait affirmé ne pas le connaître, il en avait fait de même. Ils ne se connaissaient pas. Ils étaient là, couchés l'un près de l'autre, si près, dans une grotte, mais ne se connaissaient pas. Ils en savaient si peu sur l'autre. Luva avait peur, peur de rester avec cet homme dont elle ne savait rien. Mais il était doux, gentil. Elle ne voulait plus lâcher sa main. Ne plus quitter ce contact si chaud et tendre. Elle était bien à ses côtés et depuis bien longtemps elle ne s'était pas sentie aussi bien. Depuis bien longtemps on ne l'avait plus considérée comme quelqu'un. Un être à part entière, avec son histoire, son caractère, ses sentiments.

Luva ferma les yeux pour échapper à tous ce qui se bousculait dans sa tête. Elle resta immobile longtemps. Le silence envahissait la grotte, seul le clapotis de l'eau gouttant était présent. Elle soupira bruyamment. Pourquoi ? Elle n'aurait su le dire. Les yeux toujours fermés elle repensa au début de la journée. Arrivée sur Erya elle était tellement perdue. Heureusement qu'Ecko était apparu. Il avait été si étrange. Il lui avait parlé si gentiment. Puis sans aucun rapport, ou peut-être infime, elle repensa à sa protectrice. La chamane qui l'avait recueillie après que sa mère l'a abandonnée, était si douce. Cette douceur était la même dont Ecko lui faisait preuve. Presque la même. Il y avait plus de chaleur dans celle d'Ecko et une proximité différente. L'âge sans doute, le sexe sûrement. Luva pensant à tout ce passé, ces souvenirs de Madagascar, laissa couler une larme le long de sa joue. Silencieuse elle n'avait pas encore bougé.

-J'aime bien être avec toi

Sa phrase brisa le silence. Changea l'ambiance de l'abri. Et resserra le lien qui les rapprochaient. Elle l'avait prononcé dans un souffle à peine distinct. Mais à peine eut-elle laissé le temps au garçon d'intégrer sa phrase, elle ajouta dans le même ton, tendrement :

-Même si je te connais pas.

Elle se rapprocha de lui. Brisant la distance qu'elle avait reprise auparavant. Elle sentit de nouveau son souffle sur son visage et elle s'en réjouit. Elle ne voulait plus être séparée de lui. Parce qu'il était trop gentil. Elle gardait les yeux fermés. Elle n'avait pas sommeil, mais cette position l'empêchait d'entrer dans des pensées tumultueuses. La vue des yeux blancs d'Ecko faisait naître en elle trop de réflexions.

Les questions se bousculaient dans la tête de l'aveugle. Pourquoi lui demandait-elle cela maintenant, alors qu'ils étaient désormais si proches ?? Pourquoi avait-elle d'abord fui son contact qu'elle avait auparavant accepté pour revenir ?? Avait-il dit quelque chose de trop ?? Une phrase, un mot mal placé ?? Avait-il été grossier ?? Il commençait à douter. Non pas de ce qui se passait, mais plutôt de sa conduite. Peut-être n'avait-il pas adopté la bonne attitude à l'égard de la jeune Ookami. Peut-être aurai-il fallu se comporter autrement en sa présence...

-J'aime bien être avec toi

Cette seule phrase, murmurée, soufflée, dissipa d'un seul coup ses doutes. Lui aussi était bien, avec elle. Elle ajouta :

-Même si je te connais pas.

Doucement, elle se rapprocha de nouveau de lui. Le garçon ne bougea pas. Il ne pouvait pas. Il ne voulait pas. Luva resserra sa main autour de la sienne. Une nouvelle fois. Il essayait de la comprendre. N'y arrivait pas. Elle était tellement étrange... Tellement changeante.

Son souffle contre lui acheva de rassurer le garçon. Elle était effectivement de nouveau là, contre lui, sereine. Les traits qui avaient disparu de son esprit reprirent aussitôt leur place, gravés dans sa mémoire... Comme il aurait aimé contempler ce visage qui se trouvait à seulement quelques centimètres de lui... Savoir quelles étaient ses formes véritables, quelle couleur sa peau si douce avait, quels yeux l'observaient...

Jamais, pensa-t-il, jamais je ne pourrais... Nous n'appartenons pas au même monde... Elle fait partie du visible... Je dois me contenter de l'invisible...

Il se concentra. Ses pensées négatives reprenaient le dessus, ce qui n'était absolument pas bon... Il ferma les yeux, ralentit sa respiration, se concentra sur le visage de Luva, et le sourire retrouva naturellement sa place initiale. Sur ses lèvres.

Peut-être nos deux mondes peuvent-ils se rencontrer... Non... Nos deux mondes se sont rencontrés.

A côté de lui, la jeune fille était presque roulée en boule, comme pour dormir. Le garçon pensa qu'il en était sans doute ainsi. Après tout, elle devait être épuisée par cette journée sûrement mouvementée pour elle... Néanmoins, il se redressa sur un coude, se pencha vers elle, et au creux de l'oreille lui murmura :

"Moi aussi, j'aime bien être avec toi..."

Puis il s'allongea de nouveau et, ses yeux toujours grands ouverts, se mit à écouter la respiration calme et apaisante de l'Ookami ainsi que les bruits de la nuit...