Recommencer à zéro [PV : Ecko]

Trop d'hommes, pas assez de femmes.. Ces mots résonnaient étrangement dans la tête du jeune homme. Au fur et à mesure de leurs échanges, il parvenait à extirper des informations à cette jeune fille si mystérieuse. Pourtant, il ne comprenait pas le sens de ces mots. Un jour, il saura.

- Tu as une maman, toi ?

Si le garçon avait été doté de vision, sa vue se serait embrumée. Certainement, qu'il en avait une. Il n'était pas un être magique, ni une plante ou un animal au sens familier du terme. Oui, il avait un papa et une maman. Avait. Aurait dû avoir. Lui n'avait connu que la douceur et la bienveillance de son mentor. Pas celle d'une mère. Il avait vécu toute sa jeunesse avec celui qui l'avait élevé à la fois comme son fils et son élève. Pas dans une famille. Il essuya d'un geste furtif une larme qui perlant au coin de son globe vide et se retourna vers son amie, le sourire toujours présent sur ses lèvres et pas très enclin à les quitter.

- Non, je n'en ai pas. Je n'en ai jamais eu. Je ne sais pas ce que cela fait d'être bercé, dorloté, embrassé. Je suis né sans parents. C'est mon mentor qui m'a élevé. Quelqu'un de bien. Mais pas une mère.

Il soupira. Combien donnerait-il pour trouver ceux qui l'avaient conçu ? Lui-même n'avait pas la réponse à cette question.

- Mais je t'ai, toi, maintenant.

Et comme pour appuyer ses dire, il passa une main dans les cheveux de la jeune femme afin de les ébouriffer.

- Au moins jusqu'aux îles du Nord...

C'est vrai qu'une fois débarqués, il ferait encore un bout de chemin avec elle, mais jusqu'à quand ? Il n'avait pas d'attache, mais il lui faudrait un jour rentrer chez lui, et la laisser découvrir avec ses semblable ce monde qui lui tendait les bras...

Pas de maman pour Ecko non plus. Les deux amis étaient tous deux orphelins, élevés par une personne sage qui leur avait tout appris. Luva était à la fois triste de la réponse de son ami, elle aurait aimé apprendre de sa voix ce que c'était d'avoir une mère. Mais à la fois elle se sentait proche de lui.

- Moi aussi.

Elle aurait aimé lui dire qu'elle non plus elle n'avait pas connu ses parents. Elle avait bien vécu quelques années auprès de sa mère mais elle ne s'en rappelait que vaguement et cela s'était soldé dans un échec si grand... Elle aurait aimé lui expliquer qu'elle aussi elle avait été élevée par quelqu'un d'autre : sa grand-mère chamane. Mais aucun mot de plus ne put sortir de sa bouche. Elle ne parvint à rien exprimer de plus que ce simple « moi aussi ». Elle espérait que Ecko lirait à travers ces deux mots tout ce qu'elle avait sur le cœur. Elle espérait qu'il entendrait toute la tristesse que son cœur portait à cause de cette absence de figure maternelle stable. Toutes les personnes qui avaient joué ce rôle dans sa vie avaient disparu une à une brutalement. Les mots ne parvenant pas à ses lèvres elle se contenta donc de serrer la main qu'elle tenait.

Il lui marqua beaucoup d'affection en passant sa main dans ses cheveux, les décoiffant un peu. Et Luva en fit de même avec la chevelure grisonnante de son ami et se mit à rire. Elle réalisa alors que Ecko l'accompagnait seulement là bas pour qu'elle puisse éventuellement rencontrer des gens comme elle, mi loup-mi humain. Elle se mit alors à paniquer à l'idée de rester seule sur cette île inconnue vers laquelle ils naviguaient. Son éclat de rire se stoppa net.

- Tu vas me laisser seule là bas?

Si il n'y avait personne d'autre comme elle ? Si elle ne s'entendait pas avec eux ? S'ils la rejetaient ? Luva n'était pas une solitaire. C'était son côté loup. Elle avait besoin d'être entourée pour se sentir en sécurité et heureuse. Pourtant la vie ne lui avait jamais vraiment permis de trouver des membres à ajouter dans sa meute. Ecko était le premier à la rejoindre et la suivre amicalement pendant plusieurs jours maintenant. Malgré les hauts et les bas de ses émotions, et le retours parfois inopportun de ses angoisses, elle le considérait comme membre du clan. Ecko était le premier loup de sa meute bien qu'il n'ait rien d'un loup. Et elle ne voulait pas le quitter. Du moins pas pour longtemps, ni le laisser partir trop loin.

- Moi aussi.

Deux mots. Deux mots lourd de sens. Deux mots qui résonnèrent comme le bruit sinistre d'un gong. Moi aussi. Elle aussi. Orpheline ? Abandonnée ? Élevée par quelqu'un d'autre ? Pour quelle facette était ce moi aussi ? Pas de question, mais il avançait dans sa découverte du passé de la jeune louve. Et pas seulement de son passé. De sa personne aussi.

- Tu vas me laisser seule là-bas ?

- Bien sûr que non, je ne vais pas te laisser seule. On trouvera des loups comme toi, prêts à t'accueillir parmi eux. Tu te construiras une vie nouvelle, avec peut-être un métier, des amis, une maison, possiblement un amoureux, une vie à toi, qui te plaira.

La vérité était qu'il n'avait pas de réelle envie de la laisser explorer le monde seule. Comment réagirait-il si quelqu'un d'autre que lui décidait de la prendre sous son aile, de lui offrir sa protection ? De la tristesse ? Certainement pas. De la déception ? Oui.

- Et je ne serai jamais très loin, tu sais... Tu pourras toujours me voir, quelque fois. Même souvent si tu en as envie. Moi en tout cas j'aurai envie de te rendre visite, de prendre de tes nouvelles ?

Le silence qui suivit ses paroles lui parut étrange.

- Tu préférerais que je reste à tes côtés ?

Ecko lui promettait une vie pleine de joie. Avec d'autres ookamis, avec un métier, des amis, une maison, un amoureux ? Cette version du bonheur lui était totalement étrangère. Elle n'avait pas besoin de tant pour être heureuse. Un peu de compagnie, un endroit sûr où dormir, et l'absence de douleur, de peur, et d'opération. C'était tout ce qu'elle souhaitait pour son avenir. Mais il la rassura en ajoutant qu'il ne serait pas loin, qu'ils pourraient se voir souvent. C'était tout ce qu'elle voulait entendre à ce moment là.

- Tu préférerais que je reste à tes côtés ?

Ca aurait été confortable qu'il reste à ses côtés. La vie aurait été facile.

- Tu dois avoir ta vie à toi avec des amis, un métier, une maison, et peut-être un amoureux ?

Elle énonça de façon hésitante tout ce que lui, lui avait proposé de trouver sur cette île. Répétant mot à mot ce qu'elle avait retenu. Elle croyait qu'il devait avoir tout ça ailleurs et espérait que ce ne serait pas trop loin de là où elle pourrait s'installer. Au fond, oui. Elle voulait de tout son cœur qu'il reste près d'elle. C'était réconfortant de savoir qu'il y avait au moins une personne sur qui elle pouvait compter.

- Elle est où ta maison à toi ? Tu me la montreras ?

Elle se souvint du début du voyage. Ecko avait de l'argent et il avait payé de la nourriture, un lit, etc. Sans argent elle ne savait pas comment elle allait faire. Et puis elle ne savait pas faire beaucoup de choses, comment trouverait-elle un métier ? Il y avait tant d'affaires angoissantes à régler avant de trouver une certaine tranquillité dans sa liberté.

Et s'ils la retrouvaient même sur cette île. S'ils l'avaient poursuivie et étaient déjà sur ses traces. Elle frissonna. Il ne faudrait pas qu'elle reste au même endroit plus de deux jours. Une fois seule elle ne resterait jamais posée et changerait d'abri souvent. Elle ne prendrait pas le risque qu'il la retrouve. Ou alors, il fallait qu'elle trouve quelqu'un avec qui vivre. De cette façon elle pourrait s'endormir parfois tranquille. La garde serait tenue à tour de rôle.

Luva était posée paisiblement sur le bord, elle lâcha finalement la main de Ecko. La mer était calme et le ciel dégagé mais au loin on voyait un amas de nuages noirs qui menaçait la tranquillité ambiante dans lequel ils se trouvaient. Une partie de la matinée s'était déjà écoulée. L'air se chargeait progressivement en électricité et Luva le ressenti sur sa peau, elle devint de plus en plus nerveuse, ayant envie de remuer ses pieds, ses jambes. Une sorte de décharge passa dans tout son corps, et la fit frissonner.

- Je crois qu'il va faire orage...

Luva semblait plutôt bien accepter le tableau qu'il lui présentait. Il espérait de tout cœur qu'ils trouveraient ce dont elle avait besoin une fois débarqués sur l'île du Nord. De toute façon, il l'accompagnerait jusqu'à ce qu'elle trouve un endroit où s'établir, où elle serait heureuse et où elle pourrait survivre sans problème ni peur.

- Elle est où ta maison à toi ? Tu me la montreras ?

- Oh, je n'en ai pas vraiment tu sais. J'ai bien une toute petite cabane dans la région que l'on appelle le Pré - juste parce qu'il fallait en avoir une dans les missions du forum (NDL) - mais sinon...

Il ouvrit les bras en grands, et tourna une fois sur lui-même.

- ... ma maison, c'est ce monde, c'est Erya.

Il revint s'accouder au bastingage à ses côtés.

- J'ai aussi un petit métier qui me permet de gagner suffisamment d'argent pour vivre et prendre le bateau de temps en temps pour partir à l'aventure, et tu es ma première et seule amie, tu sais. J'ai bien rencontré des gens, mais auxquels je ne me suis pas attaché, et qui ne se sont pas attachés à moi en retour.

Et cette situation lui allait plus ou moins. Il adorait l'aventure, explorer le monde, découvrir de nouvelles choses. Pourtant, la présence et la chaleur de quelqu'un non loin de lui voire contre lui emplissait son cœur d'un bonheur étrangement nouveau. Il s'imagina un instant sans Luva à ses côtés. A peine l'aurait-il quittée qu'il aurait envie de la retrouver pour rire avec elle. Fallait-il vraiment qu'il la laisse ? Il lui restait plusieurs jours pour réfléchir à cette question, encore.

- Je crois qu'il va faire orage...

Intrigué, Ecko scruta la mer. Les vagues produisaient des clapotis apaisant contre la coque du navire, et le soleil chauffait le bois. Cependant, il sentit un frisson parcourir la peau de la jeune fille lorsque celle-ci lui lâcha la main. Il projeta son esprit vers le ciel. Autour d'eux, rien, seulement l'énergie de l'astre céleste. Pourtant, loin à l'horizon, une grosse masse se dégageait, brillante sur un fond noir. Oui, il allait faire orage. Un frisson le parcourut lui aussi. Il avait déjà entendu des histoires tragiques de navires piégés dans une tempête, et qui n'en avaient pas réchappé. Mais tout irait bien. Peut-être même y échapperaient-ils, à cette tempête qui se profilait ? Plus les minutes passaient, et plus cette idée le fuyait. La masse d'énergie était maintenant presque au-dessus d'eux, et menaçait d'exploser à tout moment. Il sentit la première goutte de pluie venir lécher sa peau.

- On ne devrait pas rester sur le pont, rentrons.

Sans attendre, il attrapa avec délicatesse le bras de Luva et l'entraîna à l'abri. Autour d'eaux, les matelots s'affairaient derechef pour faire face à cet orage grondant.

Ecko avoua ne pas vraiment avoir de maison. Luva ne s'y attendait pas, il semblait être épanoui et pour elle avoir un abri participait à l'épanouissement. Mais son ami avait l'air simplement d'appartenir à l'univers qui l'entourait. Sa maison était ce monde, Erya, selon ses propres mots. Elle ne comprenait pas vraiment ce sentiment. Elle avait besoin d'un refuge à elle pour s'abriter en cas de danger ou autre situation désagréable.

Il était d'ailleurs temps de se réfugier dans leur cabine puisque l'orage grondait et la pluie commençait déjà à poindre. De grosses gouttes vinrent se fracasser sur le pont et son équipage. En l'espace de quelques secondes l'averse fut sur eux. Le ciel se fit sombre. Le vent se leva. Les vagues rugissaient contre la coque ce qui accentua le mouvement de tangage. Ils entraient dans une tempête.

Luva perdit l'équilibre plusieurs fois avant de parvenir à leur abri. Elle se rattrapa une fois à son ami, une fois sur le mur du couloir. La mer entrait dans une rage folle, remuant leur embarcation dans tous les sens avec une force spectaculaire. Le changement de météo avait été surprenant. Le bruit de la pluie résonnait sur les parois du bateau, on devait hausser le ton pour pouvoir se faire entendre.

Dans leur cabine tous les équipements glissaient sur le sol tant les mouvements du bateau étaient amples. Luva commençait à avoir peur. Elle se demandait si c'était vraiment normal que ce soit si violent. Et puis sa nausée revint de plus belle.

- C'est une tempête? Dit-elle d'une petite voix par rassurée du tout.

Pourvus que ça ne dure pas longtemps. Secoué dans tous les sens de cette manière, bien que vide, son estomac ne tiendrait pas. Et sans parler de sa condition physique, la jeune ookami voyait sa peur s'amplifiait à chaque nouvelle vague qui les projetait d'un côté ou de l'autre. N'avoir aucune maîtrise sur la situation était particulièrement angoissant.

- C'est une tempête ?

La voix de Luva était celle d'une petite fille apeurée.

- J'en ai bien l'impression, oui...

Ecko n'était pas plus rassuré qu'elle. Atteindre la cabine pour trouver refuge avait été un parcours du combattant, chacun des deux amis perdant l'équilibre à chaque embardée qu'effectuait l'embarcation. Ils se cognaient aux murs, l'un contre l'autre ou aux objets présents dans leur environnement proche. Son don de perception était brouillé par le tangage incessant et les mouvements bien trop marqués de la mer. Il déployait des efforts considérables pour que le sol ne se dérobe pas sous ses pieds, et pour garder une partie de son attention focalisée sur Luva.

A peine était-il entré dans la cabine, et la porte refermée derrière eux qu'il se recroquevillait dans un coin dans le but d'éviter de se faire projeter dans tous les sens, les genoux remontés contre sa poitrine et y enfouissant son visage. Il n'aimait pas cette situation. Oh que non, il n'aimait pas. Le tonnerre grondait au-dessus d'eux arrachant au ciel tumultueux des hurlements déchirants. Il n'avait qu'une hâte : que tout ceci s'arrête. Et le plus vite possible.

Heureusement, les quatre murs de la cabine les protégeaient plus ou moins de l'extérieur. Il ressentait néanmoins chaque déferlante soulever un peu le bateau puis le laisser retomber avec force sur cette masse d'eau en mouvement et bien décidée à ne pas les laisser respirer tant qu'ils seraient pris dans la tourmente. Combien de temps dura la tempête ? Il n'en sut rien. A cet instant même, il était comme Luva. Sans défense face à un déchaînement des éléments. Tremblant, il pria pour qu'ils ne se retrouvent pas par le fond.

À peine arrivé dans leur cabine Ecko se recroquevilla dans un coin. Il ne semblait pas très en forme. Luva avait pris l'habitude de le voir enjoué et rassurant. C'était vraisemblablement à son tour d'être en proie à des angoisses. Luva s'approcha de lui, se retenant à plusieurs reprises au peu de mobilier qui tanguait avec eux. Une fois parvenue aux côtés de son ami elle se glissa tout contre lui et attrapa son bras, se liant ainsi physiquement à lui.

- Ecko... Ça va ? Tu es tout bizarre ...

La tempête grondait dehors et remuait l'embarcation comme une feuille de salade dans son égouttoir. Posée à même le sol Luva ressentait moins les mouvements, c'était plus supportable... Le bruit de la pluie l'assourdissant... Mais la chaleur de Ecko était réconfortante même si lui n'avait pas l'air dans son assiette.

Le temps de cette violente intempérie sembla une éternité... Et puis soudain comme par miracle le calme revint. Le ciel s'éclaircit, la pluie ralentit puis disparut. Ce n'était qu'un orage passager.

Luva ne bougea pas. Elle se demanda si c'était réellement fini ou si ce n'était qu'une pause avant que la tempête ne reprenne de plus belle. Pourtant le calme perdura. Il étaient sortis de la zone de perturbation. Les vagues qui tapaient la coque du bateau semblaient si infimes après cet épisode que Luva ne les sentaient même plus.

Ecko était tout tendu près d'elle. Il n'avait vraiment pas l'air bien. Luva se demandait ce qui pouvait bien le mettre dans cet état. Est ce que la tempête l'avait rendu malade ? Il semblait se detendre doucement maintenant qu'ils en étaient sortis. Luva avait vu son ami comme un roc. Malgré sa cécité elle ne lui imaginait pas vraiment de faiblesse, elle ne pouvait pas s'imaginer qu'il ait peur de quoique ce soit.

- Ecko... Ça va ? Tu es tout bizarre...

Le garçon entendit l'appel de Luva dans la tourmente de son esprit, mais aucun son ne s'échappa d'entre ses lèvres. Dehors, la tempête était impressionnante, les nuages tourbillonnaient au-dessus de leur tête, jouant avec leur embarcation comme si ce n'était qu'une vulgaire brindille. La pluie se déchaînait contre les vitres de leur cabine, martelant les carreaux d'un bruit sec et irrégulier, cinglant, mordant. Chaque coup de tonnerre hérissait le poil du jeune homme et un frisson de terreur le parcourait. Il se sentait tendu, incapable de contrôler ses muscles, mais son esprit était accaparé par cet orage qui le pétrifiait littéralement dans son coin.

Il sentit une chaleur familière l'envelopper, s'emparer de son bras, pénétrer son cœur et tenter d'abaisser les remparts qu'il avait érigés autour de lui. Il voulut sortir, se lover contre son ami, disparaître pour ne plus avoir à endurer ce supplice de la foudre qui manquait de s'abattre sur eux. Mais la peur était trop grande.

Enfin, le bruit s'éloigna. Le claquement aux fenêtre diminua progressivement dans son intensité, l'orage grondait toujours mais de plus en plus loin. Un dernier coup de foudre frappa l'eau sur l'horizon, et le calme revint. Il resta encore quelques instant immobile. Puis ses barrières tombèrent progressivement, ses muscles se relâchèrent un à un. Lorsqu'il fut certain qu'il était hors de danger, il bougea légèrement, et ressentit alors réellement la pression qu'exerçait Luva sur son bras. Il savoura un instant sa présence, comme un baume apaisant après la terreur qui venait de faire trembler son corps au plus profond de lui. La question de son amie parvint alors, avec quelque délai, à ses oreilles.

- C'est... c'est l'orage. Désolé, ça... perturbe mes sens... ça me fait peur...

Tout allait bien, le bruit n'était plus là. La mer était redevenue calme, le ciel silencieux et le vent était tombé. Il n'entendait même plus les cris des marins qui s'affairaient sur le pont. Son sourire habituel reconquit son visage. Il se sentait épuisé, après tant de tension.

- Mais c'est passé, soupira-t-il, on a survécu à une tempête.

Inconsciemment, la présence de Luva à ses côtés pendant cet épisode houleux lui avait permis de conserver un certain calme. Autrement, il serait probablement devenu fou et aurait pu se blesser. Elle avait une aura apaisante. Il la serra un instant contre lui. Dehors, le soleil reprenait ses droits et chauffait l'endroit de ses rayons infatigables.

L'orage était passé. Il avait laissé place à un ciel dégagé. Le soleil avait fièrement repris sa place et la pluie avait fui. Les vagues tourmentées avait à nouveau adopté un rythme régulier et plus lent. La tempête était derrière eux. Il était sans doute courant d'essuyer des orages dans ces eaux. Les marins avaient géré l'événement et le bateau n'avait subi aucun dégât.

Ecko, recroquevillé dans un coin de la cabine reprenait ses esprits. Et Luva collée à lui profitait de sa chaleur réconfortante. Ils restèrent un court moment ainsi assis à même le sol. Le jeune homme venait de confier sa peur de l'orage. L'ookami était en prise à des interrogations diverses. Elle avait pris Ecko pour quelqu'un d'infaillible jusque là. C'était lui qui la rassurait et non l'inverse. Pourtant, pour la première fois dans ce voyage, elle le voyait réellement. Lui aussi avait des peurs. Il était un peu comme elle, avec ses moments d'angoisses. Et son cœur s'attacha encore un peu plus à cet ami.

Dans un soupir Ecko annonça leur survie à une tempête. Luva sourit, répondant au visage éclairé de joie de son ami.

- On doit être vraiment forts alors.

Luva fixait le jeune homme, elle se remémora leur malaise pendant l'orage. Et explosa de rire. Leurs réactions face à la tempête lui semblait démesurées. Son rire ricocha sur les murs de leur petit logement. Voyager avec Ecko était vraiment du bonheur. Elle enfoui sa tête contre son épaule pour rire de plus belle. C'étaient de bons souvenirs qu'elle créait là avec lui. Elle espérait ne jamais oublier ces moments en sa compagnie.

Quand son fou rire fut passer, elle reprit doucement sa respiration et demanda à son ami s'il avait terminé sa sculpture. Peut-être avait-il pris le temps de la continuer par moment ? Elle avait bien envie de le regarder faire. Elle ne savait pas comment cela marchait ni ce que ça donnerait au final. Sa curiosité grandit de plus belle.

Luva éclata soudain de rire. Un rire cristallin, innocent, qui se répercuta contre les murs de la chambre. Un rire qui laissait échapper nombre de doutes, toute la pression qui s'exerçait sur ses épaules depuis le début du voyage. Un rire d'enfant. Ecko la rejoignit dans sa gaieté. Après la peur qui lui avait paralysé les membres, cet éclat gonfla ses poumons, évacua ce stress accumulé. Oui, ils étaient forts. Ils avaient surtout de la chance que cette tempête n'était que passagère. Jamais il n'aurait survécu à une semaine entière ainsi.

Il était heureux de partager des moments comme ceux-là avec elle. Un épisode dangereux, aussitôt remplacé par un rire, un peu de chaleur humaine. C'était peut-être de cela dont il avait besoin dans sa vie : quelqu'un capable de lui tenir le bras lors d'un orage, de rire avec lui. Ce voyage était si riche en nouveauté pour le jeune homme. Peu à peu, il apprenait les interactions sociales tout en les enseignant d'une certaine façon à Luva. Si c'était possible, il visiterait le monde avec elle. Peut-être.

Elle lui demanda s'il avait continué sa sculpture. Le garçon fit non de la tête. Avec ces intempéries, impossible. Machinalement, il plongea sa main dans sa poche pour vérifier que le morceau de bois était toujours là. Oui, il sentait les courbes grossières tracées à la lame sous ses doigts. Pour le moment, ce n'était qu'un morceau informe. Et peut-être le restera-t-il. Il le lui tendit.

- Tu veux essayer ?

Après tout, il n'y avait aucune raison pour qu'il soit le seul privilégié à passer le temps ainsi. Et elle pourrait commencer à imprimer une certaine forme au bois, qui sait.

- A moins que tu ne veuilles faire autre chose, chercher un Titani ? Discuter avec les marins ? Dormir ? Manger ?

- Non je préfèrerais te regarder faire. Tu veux bien?

Soudain son envie de découvrir le monde l'ennivra. Elle voulait tout voir, tout faire, tout goûter, ... La vie s'offrait enfin à elle, il fallait qu'elle s'y jette dedans et qu'elle essaye tout ce que le monde pouvait lui offrir. Une sorte d'euphorie gagna l'ookami. Et comme pour satisfaire son besoin de découverte, sur le pont une musique se fit entendre.

Les marins étaient en train d'improviser une fête. L'accordéon endiablait l'équipage qui se mettait à danser sous le soleil. La tempête finie on pouvait festoyer et se féliciter d'en être sorti sans encombre.

Luva tendit l'oreille, la joie se propageait sur le bateau. Elle tira la manche de Ecko pour lui signifier qu'elle souhaitait voir ce qu'il se passait. L'entraînant avec elle dans le couloir, ils entendirent la musique plus distinctement. Les rires, les chants et les danses avaient gagné l'ensemble des marins présents sur le pont.

Luva sautillait de curiosité, elle jetait des regards partout, toute cette ambiance festive, toute cette joie communicative était nouvelle à ses yeux et elle souhaitait vivement y prendre part. Ça semblait vraiment agréable !

Elle tirait son ami par la manche, sans un mot elle le guidait vers la foule envoûtée par la musique. Et les rythmes joyeux que le musicien jouaient hypnotisèrent l'ookami.

-Oh Ecko est ce que tu vas danser avec moi?

Elle le pressait pour qu'il réponde à l'affirmative et le tirait déjà vers les danseurs.

Une douce mélodie vint chatouiller les oreilles des deux amis, aussi douce qu'un filet de miel s'immisçant entre les lèvres d'un enfant au petit-déjeuner. Après cet épisode houleux, elle jouait de contraste avec la morsure cinglante de l'orage et de la pluie battant les eaux, les hommes, cherchant à pénétrer leurs fenêtres. Ecko ne reconnut pas immédiatement l'instrument, mais lorsque Luva ouvrit la porte en grand, se précipitant dans le couloir, la musique s'engouffra dans la chambre, portant vers lui la joie des marins d'avoir vaincu une nouvelle fois la force la plus imposante de la Nature.

Il sentit la jeune Ookamie le tirer par la manche, l'obligeant à la suivre dans le couloir. Il la percevait totalement différente de la jeune femme apeurée, timide. Cette musique improvisée était pour elle l'occasion de s'amuser, chose à laquelle elle semblait ne pas avoir eu l'occasion de goûter au cours de sa petite vie. Il s'arrêta dans l'ombre du couloir, là où le pont s'élançait au-dehors, et croisa les bras sur sa poitrine. Son esprit resta accaparé par Luva, qui se précipitait déjà au milieu de la foule. Ils ressemblaient à une petite fille couvée par le regard de son père. La musique l'envahissait. Dans un monde invisible, les sons étaient pour lui un paysage enchanté. Inconsciemment, sa tête commença à se balancer doucement de droite à gauche au rythme des notes qui s'alignaient dans l'air chaud de ce début d'après-midi.

C'est à ce moment que Luva choisit de revenir vers lui.

-Oh Ecko est ce que tu vas danser avec moi?

La question prit Ecko au dépourvu. Mais la jeune fille ne lui laissa pas le choix et l'entraînait déjà au milieu des danseurs. Il sentit sa température corporelle drastiquement augmenter alors que les battements de son cœur se faisaient plus rapprochés. Il sentait quelques regards s'attarder sur eux, et cela le mettait mal à l'aise. Mais il lui était impossible de reculer. Décidément, cette rencontre avec Luva était l'occasion de nombre de découvertes... et pas des moindres. Inspirant un grand coup, il s'inclina devant elle alors qu'elle lâchait sa manche.

- Mademoiselle, m'accorderez-vous cette danse ?

Ecko s'inclina vers l'ookami et lui proposa sa main pour aller danser. Un sentiment de joie intense s'empara de Luva, elle attrapa gaiement la main de son ami, et l'attira brusquement sur la piste où des marins s'essayaient déjà à quelques pas de danse. Luva tournoyait et laissait la musique l’enivrer, guider ses pas et faire bouger tout son corps. La tête dans les nuages, l'esprit nulle part ailleurs que dans ce moment de bonheur.

Le musicien enchaînait les airs d’accordéon. Ils étaient tous joyeux et avaient tous un rythme effréné sur lequel on ne pouvait s'empêcher de bouger. L'envoûtement de la musique sur le corps. Voilà bien quelque chose de nouveau pour l'ookami mais elle s'y était adaptée avec grâce et simplicité. Elle dansait comme si elle avait toujours profité de ces moments festifs et d'aucun n'aurait pu imaginer que c'était sa première fête, ses premiers pas de danse... La joie pouvait se lire sur son visage et cela aussi avait été bien rare. Elle était libre. Le bonheur lui allait si bien. Elle rayonnait au fil de la musique, accrochée à son ami.

Elle dansa plusieurs heures durant. Son corps était épuisé, elle ne sentait plus ses muscles pourtant la musique l'emportait toujours plus loin. L'après-midi passa ainsi. Finalement, la lueur du jour déclina. Le ciel rougit. La musique se fatigua. Les marins regagnèrent petit à petit leurs postes.

Le soir tombait et Luva tomba aussi. À force de tournoyer elle perdit l'équilibre et se retrouva à même le sol, essoufflée, épuisée mais heureuse. Dans un souffle elle se rendit compte du goût que cela avait. Le bonheur était sucré, entêtant et tellement énergisant. Elle resta assise parterre un long moment, regardant autour d'elle les matelots reprendre leur tâche. Elle observa l'horizon au loin. Son cœur était tel que le soleil couchant, brûlant et lumineux. C'était donc ça la vie libre ?

Elle soupira de bonheur puis se recroquevilla sur elle même. La fraîcheur de soir gagnait le pont de l'embarcation. Il fallait qu'elle fixe ce jour dans son esprit. Ce souvenir lui permettrait de supporter n'importe quelle douleur. Si l'obscurité venait à regagner sa vie, il lui resterait toujours ces images de bonheur. La musique, Ecko, les rires sur la mer, et son corps hypnotisé sur la piste.

Les premiers pas furent compliqués. A cause de sa cécité, il peinait à enchaîner de façon précise les mouvements de danse que Luva lui intimait. Elle le guidait, et la musique faisait le reste. Tout timide, il n'arrivait cependant pas à se lâcher comme semblait le faire son amie. Non pas qu'il n'aimait pas être à son bras, mais la présence de tant d'inconnus autour l'empêchait de se focaliser sur le simple bonheur de la sentir heureuse à ses côtés.

Combien aurait-il donné pour pouvoir voir, profiter de cet instant, des couleurs qui devaient l'entourer, apercevoir le sourire sur le visage de Luva ? Elle lui avait laissé découvrir ses traits sur la plage, alors qu'ils se connaissaient à peine. Aussi essayait-il, alors que la musique endiablait le pont, de deviner à quel point elle était rayonnante. Mais cet exercice lui était interdit.

La danse improvisée par l'équipage les occupa l'après-midi entière. Parfois, il s'éclipsait pour la laisser profiter de cet instant, seule avec sa grâce et sa joie infinie. Mais il ne restait pas longtemps à l'écart, retournant la chercher pour qu'elle l'entraîne de nouveau dans une série de pas chaloupés.

Lorsque l'air commença à se rafraîchir, la musique déclina dans son intensité en même temps que les marins s'en allaient, jusqu'à laisser le pont silencieux. Luva était à genoux, haletante. Elle semblait épuisée. Normal, pour quelqu'un qui n'avait pas mangé depuis deux jours...

- Tu arrives à te lever ? Tu as faim ?

En réalité, il avait plus posé la première question pour briser le silence qu'à la recherche d'une réelle information. C'était la seconde partie de son interrogation qui lui importait. Avec douceur, il s'accroupit à ses côtés, lui prit le bras et le passa par-dessus son épaule pour la relever.

- Oulalala fit-elle en se relevant avec l'aide de Ecko J'ai mal partout... Oui j'ai un peu faim...

Le garçon la portait presque. Elle s'accrocha à lui titubant. Elle était ivre de bonheur et endolorie d'avoir trop bougé. Elle se serra contre Ecko et lui chuchota un Merci au creux de l'oreille. C'était sans aucun doute le meilleur jour de sa vie et sa présence y était pour quelque chose.

Ecko la conduisit jusqu'aux cuisines. Là, un homme leur servit deux portions très similaires à celles de la veille. Luva regarda longuement son assiette avant d'y toucher, elle se demanda si son estomac lui permettrait de se nourrir. Son extase étant telle qu'elle n'avait pas ressenti de mal de mer de toute l'après-midi. S'était-elle enfin habituée aux mouvements du bateau ? Elle tenta de s'en convaincre et commença son assiette. Finalement elle la dévora rapidement, la faim la gagnant pour de bon.

Ils étaient tous deux attablés à une sorte de bar derrière lequel des marmites bouillonnaient d'une bouillie assez peu appétissante. Les odeurs étaient tout aussi écoeurantes que le contenu de leurs assiettes. C'était un mélange de gras, de cramé et de morue ? Il faisait chaud dans cette pièce. Et la chaleur du lieu associée à la danse de l'après-midi amenèrent Luva à un état de grande fatigue. Elle posa sa tête sur l'épaule de son ami alors que celui ci mangeait encore. Elle était à deux doigts de s'assoupir là.

Elle manifesta son désir de se sustenter quelque peu. Lui aussi, commençait à avoir faim. Il n'avait pas mangé depuis la veille, et ce n'était pas dans ses habitude de dépenser autant d'énergie dans une tempête puis une danse. La jeune femme accrochée à ses épaules, il la traîna presque jusqu'à la coquerie, d'où s'échappaient les effluves d'un repas qui à défaut d'être savoureux tenait à l'estomac.

Il y demanda deux portions, qu'on leur servit presque aussitôt. De la même manière que la veille, l'endroit était vide de monde, à l'exception de celui qui semblait être le chef. Sans doute les matelots préféraient-ils se retrouver au dortoir pour manger ? Luva engloutit son assiette. A force de jeûner, elle devait être affamée. Lui profita plus longuement de la sensation de bien-être qui l'envahissait à chaque bouchée, alors qu'une pâte étrange descendait le long de son œsophage pour venir remplir peu à peu son ventre avide de nutriments.

Au fur et à mesure qu'il avalait son repas, il sentit l'atmosphère se réchauffer quelque peu, probablement à cause des feux permettant de garder les aliments au chaud qui se situaient juste devant eux. Alors qu'il avait avalé la moitié environ de son assiette, il sentit un poids venir s'appuyer contre son épaule, accompagné de l'odeur de la louve. Il la laissa faire, s'empressant de terminer son repas avant qu'elle ne s'assoupisse.

Apparemment, il ne fut pas assez rapide, car avait-il repoussé sa gamelle qu'il lui glissa un mot, mais n'obtint aucune réaction de sa part, si ce n'était son souffle contre son oreille. Il soupira. Lui aussi était fatigué. Avec mille précautions, il se leva, enroula un bras autour de ses épaules en lui maintenant la tête, et lui attrapant les genoux de son autre membre, et la porta contre son torse, non sans difficulté jusqu'à leur cabine. Là, il la déposa sur le lit en prenant garde à la caler contre le mur, enleva sa chemise et prit place à ses côtés. L'endroit était un peu étroit, mais tant pis. Elle avait très mal pris le fait qu'il dorme à même le sol. Bonne nuit petite Louve.

Les bruits des cuisines, les mouvements du bateau, les odeurs des plats mijotant, tout se dissipa dans l'esprit de Luva. Seule la chaleur de la pièce l'envahit, emportant son corps et son esprit vers le monde des rêves.

L'ookami se réveilla en sursaut en pleine nuit alors que son crâne venait de percuter le mur de la cabine. Elle ne se souvenait pas du tout comment elle était arrivée là mais elle aperçut la silhouette d'Ecko endormi près d'elle et cela suffit pour l'apaiser. Elle tira sur son foulard qui serrait ses oreilles. A peine furent elles libérées qu'elle replongea dans un profond sommeil, son corps lourd glissant vers celui de son ami, sa main refermée sur le foulard à moitié déroulé.

Les émotions de la journée étaient d'une telle intensité qu'elle rêva de danses et de fêtes, de rires et de chants. Cette fabuleuse journée l'accompagnait dans un cercle vertueux et apaisant. Le bonheur de la journée avait fait fuir les cauchemars de la nuit. Et elle pouvait enfin se reposer pour de bon.

Luva se réveilla bien tard. Quand le soleil la tira enfin de son repos, elle était seule dans le lit. Elle s'était étalée et en prenait toute la place. Elle grommela avant de s'étirer. Le réveil était difficile. Elle avait les muscles en compote. Danser avait été bien plus sportif que ce qu'elle aurait pu imaginer. Luva ressentait la moindre parcelle de ses jambes, et de ses bras. Le moindre mouvement était difficile et lui arrachait un gémissement. Elle se massa les mollets machinalement mais c'était tellement douloureux qu'elle arrêta bien vite. Son corps était meurtri mais de mouvements joyeux. L'ookami avait mal mais à ces douleurs n'était associée aucune terreur. Elle n'avait pas à se demander quelle opération on avait encore fait subir à son corps. Elle savait d'elle même pourquoi elle avait mal, elle avait dansé. La danse ce n'était que du bonheur.

Elle se remémora son après-midi festive. C'était sans doute ses meilleurs souvenirs. Elle s'affala sur le lit, se laissant envahir par la joie de pouvoir se rappeler un moment de bonheur. Quelques larmes perlèrent au coin de ses yeux. Rien ni personne ne pourrait lui voler ces images, c'était rassurant de pouvoir les conserver pour elle, en elle...

Spoiler:

Ecko se réveilla de bonne heure, alors que les rayons du soleil ne caressaient pas encore ses paupières endormies. Son corps était quelque peu douloureux, probablement à cause des exercices de danse de la veille, et parce qu'il avait du porter Luva jusqu'à son lit. Non pas qu'elle était lourde, mais un corps inerte reste un corps inerte. Le cerveau embrumé, il analysa tout de même la pièce par habitude. La jeune fille était étendue auprès de lui. Elle aussi devait être épuisée, car elle avait dépensé bien plus d'énergie que lui. En cet instant, il aurait aimé avoir accès à la vue. Il l'aurait regardée dormir. Il se demanda quel effet cela faisait, de contempler quelqu'un.

Non sans maladresse, il s'extirpa de la couchette, ses pieds retrouvant le contact du sol en bois et le tangage du bateau. Un léger frisson le parcourut, plus du à un léger courant d'air frais qu'autre chose. Il était toujours torse nu, et après s'être étiré sans bruit, se dirigea vers le coin douche. Il profita du fait que son amie dormait toujours pour réaliser une toilette complète à l'eau froide. Il l'entendit se tourner et marmonner dans ses rêves plusieurs fois, mais le bruit de l'eau ne sembla pas la tirer de la torpeur qui l'enveloppait.

Une fois lavé, il enfila ses vêtements et, à pas de loup (haha), il sortit de la cabine en prenant soin de bien refermer la porte afin de laisser son ami à ses rêves et ses secrets. Sa première destination fut la coquerie, où il avala un petit-déjeuner sommaire composé essentiellement de biscuits secs. Il n'aurait pas dit non à un fruit, mais il savait le transport compliqué pour ce genre d'aliments. Une fois son estomac contenté, il fit quelques tours du pont pour se dégourdir les jambes, avant d'aller prendre place sur la proue du navire, assis en tailleur. Il ferma les yeux, souffla doucement, et libéra son esprit pour le laisser vagabonder sur la surface de l'eau, jouer avec les vagues qui venaient lécher la coque, frôler l'écume et filer dans l'air salé de la mer.

Il resta ainsi longtemps, sans prendre garde à ce qui se déroulait autour de lui. Les matelots vaquaient à leurs occupations, et il attendait que Luva s'extirpe des bras de Morphée, laissant le soleil frapper sa peau alors que de temps à autre, des projection d'iode le faisaient tressaillir par un contact froid et mouillé. Il respirait à plein poumons, pleinement conscient et heureux de goûter chaque jour au calme et au plaisir d'être en vie.

D’un rapide regard autour d’elle l’ookami se rendit compte qu’elle était seule. Plongeant à nouveau dans le lit elle resta de longues minutes dans ce cocon confortable que lui offraient le matelas et la couverture. Le regard vers le plafond elle laissa ses perceptions se transformer en illusions et la ramener jusque dans le pays des rêves. Jambes pendantes sur le bord du lit, étalée les bras en croix sur Luva se rendormit.

La chaleur de la cabine la sortit d’un sommeil profond. L’air était chaud dans la pièce exigüe et sa peau légèrement humide. Titubant au saut du lit, elle s’aventura vers l’extérieur malgré son esprit encore embrumé. A la sortie du couloir, l’éclat du soleil déjà très haut dans le ciel l’éblouit. Luva grimaça, et fronçant les sourcils pour retrouver un champ de vision bien que limité, elle fit quelques pas à tâtons.

L’air marin, les embruns accueillirent l’ookami avec vivacité. Cette fraîcheur environnante la revigora. Et prenant une grande bouffée d’air elle observa les alentours pendant que ses yeux s’habituaient à la vive lumière de la journée. Elle avait beaucoup dormi aujourd’hui, la moitié de la journée s’était déjà presque écoulée. Pourtant, Luva avait encore son visage ensommeillé et le corps lourd. Il était pourtant temps de se réveiller et de continuer à vivre ce palpitant voyage.

Mais Luva préféra retourner dans la cabine. De ses petits yeux fatigués elle n’avait pas aperçu Ecko sur le pont. Elle rebroussa donc chemin pour regagner la chaleur humide de leur chambre, et la douceur réconfortante des draps.