Monotones, longues, sans intérêt … Telles étaient les journées de la violoniste. Sans vie, tout comme l'était dorénavant son âme. Un jour de plus à supporter, c'est ce qu'elle se disait intérieurement, dans ses pensées les plus sombres. Tout n'était que tristesse et mélancolie dans son esprit. Et personne pour empêcher les ténèbres de s'emparer d'elle petit à petit.
Tenant son violon d'une main, et de l'autre, son archer, elle traînait son corps artificiel à travers Elipce. Elle ne songeait à rien, elle marchait. Ses petites jambes délicates et frêles s'activaient lentement et avec une certaine agilité non des moins ravissante sur les dalles sales et usées. Un but ? Elle n'en avait aucun. Une envie ? Non, rien. Elle se contentait de découvrir cet espace urbain et dénué de toute beauté végétale.
Quelques regards se posèrent sur Victorica lorsqu'elle eut la maladresse de longer une rue infestée de commerces. Elle haïssait plus que tout ces yeux curieux qu'elle qualifiait de malsain. Instinctivement, elle jeta un oeil sur ses bras et ses poignets, alors camouflés par les manches en dentelle d'un rouge pourpre de sa robe Victorienne. Vêtue comme cela, elle semblait sortir d'une autre époque. La poupée semblait intemporelle.
La violoniste était soulagée. Mais ce fut de courte durée. En inspectant ses genoux nus, ou plutôt, ses jointures de poupée, elle savait qu'elle avait commis une erreur. Elle savait à cet instant précis ce qui causait la curiosité morbide des passants, ses horribles jointures. Victorica se sentit affreusement embarrassée. Une poupée, un vulgaire jouet, elle se sentait ridicule. Elle n'était pas à sa place, elle en était parfaitement consciente.
Ses poings se serrèrent autour de son instrument. Elle regarda consciencieusement tout autour d'elle afin de trouver une issue, une échappatoire. Mettre fin à cette scène où elle était l'actrice au milieu de tous ces spectateurs grossiers. Une certaine paranoïa envahissait Victorica. Elle ne pouvait s'empêcher de fuir. Et c'est ce qu'elle fit, une fois de plus. Ses petits escarpins claquèrent sur le ciment avec une certaine frénésie. Ses cheveux bicolores virevoltaient au vent, juste derrière elle, remuant dans l'air telles des couleuvres dansant dans l'eau douce d'une rivière.
A peine eut-elle fait une centaine de mètres qu'elle eut l'impression que son coeur se serra dans sa poitrine. Elle était à bout de souffle. Ce qui était particulièrement stupide. Une poupée n'avait pas de coeur. Elle n'avait rien d'autre que son âme blessée. Néanmoins, Victorica du s'arrêter pour reprendre un rythme de respiration normal. S'adossant à la paroi glacée d'un mur, elle avait la sensation que sa gorge s'était métamorphosée en un chalumeau. Elle brûlait intérieurement alors que son enveloppe corporelle était gelée.
Elle prit plusieurs longues minutes à se ressaisir et a ce que les petites taches blanches qui gênaient sa vue disparurent. Victorica savait bien qu'elle ne devait pas pousser trop à bout ses forces, qui étaient d'une quantité minime. Défroissant sa robe en soie, la violoniste se décolla de la façade froide de ce qu'elle n'avait pas remarqué plus tôt d'une Eglise. Victorica se recula afin de mieux contempler cette étrange architecture d'art gothique. D'une grandeur monstrueuse, la battisse religieuse était imposante et semblait toucher les nuages. Sans doute pour toucher les Dieux présents là-haut. Si il y en avait. Ce qui rendait Victorica sceptique. N'étant pas croyante pour un sou. D'ailleurs, elle ne croyait plus en rien à présent.
L'église était au goût de la poupée, et satisfaite, elle pénétra au sein même de la Maison de Dieu. A l'intérieur, nul bruit parvenait aux oreilles délicates de Victorica. Le silence était Roi. Cette absence de son ou de bruit pesait sur elle, néanmoins, elle trouvait cela vraiment reposant. Dés les premiers pas dans cette église, elle sentait qu'elle était bien ici. Une atmosphère protectrice, sécurisante mais à la fois terrorisante émanait de ce lieu si original. Il n'y avait pas un rat. Pas une âme qui vive. Elle était seule, elle et sa carcasse de poupée.
Aussi rares fut-elles, une idée traversa l'esprit de la violoniste. Et sans plus tarder, elle s'assit sur l'un des bancs en bois très durs et peu confortables pour positionner son violon si cher à ses yeux. Le seul objet digne de ce nom et auquel, Victorica était attachée. Son archet dans la main droite, elle le fit glisser avec une extrême délicatesse sur les cordes qui se mirent à faire résonner des notes contre les murs de l'église. (
Morceau joué)
La poupée ferma les yeux et s'abandonna dans son rêve musical dont personne ne pouvait la faire sortir. Elle était comme hypnotisée par son instrument, ne pouvant s'en défaire avant d'en être parfaitement satisfaite. La maison religieuse se changea alors en grand concerto dont la seule bénéficiaire était Victorica. A moins qu'un individu ne vienne perturber cet instant ...